Polar

Roger Smith

Pièges et sacrifices

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Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Le Cap, Afrique du Sud. Quand un riche blanc tue une petite pute, il faut simplement trouver le bon noir qui fera l’affaire. Enquête bâclée, flics blancs heureux, coupable désigné. Tout va bien dans cette société toujours coupée en deux. Jusqu’à ce que Roger Smith fasse entrer en scène Louise Solomons.

Page — Dans Pièges et sacrifices, j’ai eu le sentiment que c’est la lâcheté de Mike contre la détermination de Louise qui est le nœud central de votre roman.
Roger Smith — Le roman tourne autour de la relation entre Michael Lane et Louise Solomons, qui, d’après moi, est une relation uniquement sud-africaine. Michael est un homme fortuné, et comme beaucoup de ces blancs sud-africains, notamment les libéraux anglophones, il s’est donné pour mission d’étendre sa protection aux enfants de sa domestique métisse, qui vivent avec leur mère dans un petit logement sur le domaine de son grand manoir du Cap. À première vue, cette protection paraît avantageuse : Louise et son frère Lyndall ont été éduqués dans de bonnes écoles situées dans une banlieue riche de la ville et Michael paie ses frais de scolarité à l’université du Cap. Mais maintenant qu’elle est devenue une jeune femme, Louise sait bien que toute cette gentillesse de la part de Michael n’était finalement qu’une façade pour soulager sa conscience. Il n’a jamais vraiment été intéressé par elle ou son frère. Ils seront toujours les simples enfants de la domestique. Alors, quand Michael et sa manipulatrice de femme, Beverley, accusent Lyndall pour un crime commis par leur propre fils, le ressentiment de Louise bascule vite en une obsession poussée par la fureur et la conduit vers un chemin de vengeance qui devient de plus en plus violent et dangereux. Mais, comme vous le dites, Michael est un lâche et il est difficile de ne pas ressentir de l’empathie pour Louise.

Page — En France, nous avons tendance à croire que, depuis Mandela, l’Afrique du Sud est devenue plurielle, or, quand on lit vos romans, on comprend qu’il y a encore un long chemin à faire…
R. S. — Les cicatrices de l’Apartheid mettront des générations entières à guérir, et le régime de l’ANC, par son avidité effrontée et sa corruption, ne fait qu’augmenter une division désormais économique.

Page — Pensez-vous que le roman noir soit la forme la plus évidente pour évoquer un pays et ses contradictions, en amplifiant la résonance d’une situation politique?
R. S. — Dans un pays aussi gangrené par le crime que l’Afrique du Sud, le roman policier, s’il réussit à ne pas être rêveur et futile, est selon moi un moyen puissant pour mettre en valeur les problèmes et maux socio-politiques, tout en racontant des intrigues captivantes.

Page — Contrairement à ceux de Deon Meyer, vos romans véhiculent une violence incroyable. Vous parlez d’un même pays, mais d’une manière totalement différente. Vos héros ne sont pas des héros, simplement des gens qui essayent de s’en sortir.
R. S. — Tout le monde sait que le nombre de crimes violents en Afrique du Sud est parmi les plus élevés de la planète. La corruption et la violence sont monnaie courante dans la police et le système judiciaire est surchargé et souvent inefficace. Je n’écris pas des contes de fées à propos de flics qui résolvent des crimes et restaurent l’ordre moral ; j’écris à propos de gens qui vivent dans un pays qui a perdu foi en son système judiciaire pour lutter contre la criminalité : les victimes de ces crimes et ceux (comme Michael et Beverley Lane dans Pièges et Sacrifices) qui exploitent les dysfonctionnements d’une société à leur avantage.

Page — Si vous deviez nous parler en quelques lignes d’un auteur français qui vous a marqué, lequel citeriez-vous ?
R. S. — J’ai lu pour la première fois Albert Camus quand j’étais très jeune et ai été entraîné par sa vision du monde noire et absurde. L’Étranger, notamment, m’a marqué par sa morale peu conventionnelle et son protagoniste antipathique.

 

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