Littérature française

Gilles Bornais

J’ai toujours aimé ma femme

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Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Depuis que le monde est monde, on pense et repense l’amour. Mais quelles que soient les époques, on n’y comprend toujours rien. C’est pourquoi Gilles Bornais nous explique le vade-mecum du couple parfait… Enfin, vu de la petite lorgnette de l’homme ! Et madame dans tout ça, elle en pense quoi ? Euh, il semblerait qu’il y ait de la friture sur la ligne…

Quand Jean-Baptiste découvre un post-it sur la table avec cette simple inscription : « je ne rentrerai pas ce soir », écrit de la main de sa chère et tendre épouse Mylène, il ne comprend pas. Pourquoi décide-t-elle de le quitter, lui le parfait mari, l’homme le plus gentil de la terre, qui souscrit à toutes ses envies, ses lubies, ses désirs. Bref, c’est la consternation. Mais qu’est-ce qui a pu bien clocher ? Jean-Baptiste se met à enquêter, à fouiller dans les affaires de sa femme, rameute ses deux enfants qui, eux, ne semblent pas si surpris (que savent-ils donc que je ne sais pas...). À force de remonter le cours de leur mariage, on commence à comprendre que la belle façade de leur couple s’est fissurée peu à peu et qu’il y a de multiples manières d’aimer sa femme, mais que celle qu’il a choisie n’est peut-être pas la meilleure. Roman habile sur le couple et ses contradictions, ce livre permettra à plus d’un homme de se regarder vraiment dans le miroir !

Page — Dès le premier chapitre, votre héros semble tellement parfait que le jour où il découvre sur la table de la cuisine un petit mot signé de sa femme, Mylène, lui annonçant qu’elle s’en va, il est sidéré. Qui est ce Jean-Baptiste, ce mari… et cet amant idéal ?
Gilles Bornais — Est-il vraiment le type parfait que vous décrivez ? Le narrateur est marié depuis vingt-trois ans à Mylène, il a une bonne situation, gagne bien sa vie, est le père de deux enfants. Bref, il qualifie lui-même son existence de parfaite. Un soir, pourtant, il tombe sur ce mot dont vous venez de dévoiler le contenu et qui est comme poignardé sur la table de la cuisine et où sa femme lui déclare qu’elle le quitte sans autre forme de procès. Il ne comprend pas. Il a beau chercher, il lui paraît impossible qu’une femme puisse abandonner un homme qui n’a jamais cessé de proclamer combien il aime sa femme. Il s’est toujours montré d’une irréprochable sollicitude… Alors quoi ?! Il avait le sentiment de faire exactement ce qu’il fallait pour rendre sa femme heureuse, et pourtant, il y a ce mot incompréhensible sur la table de la cuisine. Refusant d’admettre cette vérité, il imagine d’autres hypothèses qui expliqueraient son brusque départ. Est-elle malade, y a-t-il un problème avec ses parents ?

Page — Quand il met la main sur un post-it où est inscrit un nom, il n’a plus qu’une obsession : identifier ce nom. Il découvre ainsi que sa femme consultait une thérapeute de couple.
G. B. — Tenue au secret professionnel, la thérapeute se garde de dévoiler à son visiteur les propos qu’elle a entendus de la part de sa patiente. Pourtant, un dialogue s’instaure entre les deux personnages, une espèce de jeu du chat et de la souris. La thérapeute tente de mettre Jean-Baptiste face à ses contradictions, de le confronter à son déni. Ainsi, chacun avance ses pions. Lui continue à soutenir qu’il a toujours aimé sa femme, puis, au fil de la conversation, alors que la thérapeute s’emploie à en révéler le moins possible, Jean-Baptiste puise dans ce peu suffisamment d’éléments pour progresser dans son enquête, pour comprendre un certain nombre de choses qui lui permettent d’avancer vers la vérité. En outre, d’autres rencontres l’aident à cheminer vers une prise de conscience plus grande, notamment en parlant avec une collègue de sa femme, Caroline, une très belle jeune femme croisée un peu par hasard dans un café.

Page — Il la trouve effectivement très belle. Il est rendu fou d’inquiétude parce que sa femme est partie, mais rien ne l’empêche, après tout, de considérer que cette Caroline est particulièrement séduisante.
G. B. — Il a tout à fait le droit. Il a toujours aimé sa femme, alors il peut parfaitement trouver du charme à Caroline. Elle-même vit avec un aventurier qui ne rentre qu’une ou deux fois par an après des absences de six mois, et ne dissimule rien de son infidélité. De leurs échanges émerge une vérité qui les aide à mettre en lumière des choses qu’ils ignoraient d’eux-mêmes. Et plus l’intrigue progresse, plus la cuirasse de Jean-Baptiste se fendille. Par rapport à ses enfants, par rapport à la vie en général, ses certitudes s’effritent. Son regard sur ce qui l’entoure change, se faisant tantôt mélancolique, tantôt drôle, et la vérité apparaît peu à peu, à la manière de l’évolution d’une enquête policière, au gré des fausses pistes, des indices relevés ici et là.

Page — À mesure qu’il approche de la solution, on devrait, nous, lecteur, le détester de plus en plus. Ce n’est pas le cas, car même si l’on comprend pourquoi sa femme l’a abandonné, même si l’on meurt d’envie de le secouer, de lui dire : Mais bon Dieu ! Tu n’as pas compris ! Pourtant, on a de l’empathie pour lui.
G. B. — C’est un type ordinaire, entouré de copains, un type censé connaître la vie… Un jour que je déjeunais avec un ami que j’avais toujours considéré comme un homme solide, je le vois fondre en larmes et me déclarer : « Ma femme me trompe ! » J’essaye de lui expliquer que ce n’est pas si catastrophique, d’autant moins, à mon sens, qu’il est lui-même un époux incroyablement infidèle – à un point que vous ne pouvez même pas concevoir. Alors que je viens de lui rappeler ses écarts, il rétorque : « Oui, mais en amour, j’ai toujours été fidèle ! » J’ai placé cette phrase dans le livre – ce qui, ne vous méprenez pas, ne signifie pas que mon personnage est calqué sur cet ami. Je cite simplement cette anecdote pour vous montrer que, parfois, les hommes barbotent dans le déni et que les choses peuvent se mélanger à l’intérieur de leur cerveau. En même temps, je ne sais pas trop… Que se passe-t-il réellement entre l’amour et l’expression de l’amour ? Dans les romans policiers, à mesure que l’intrigue progresse, le lecteur sent poindre un dénouement possible… lorsqu’en survient un autre, totalement inattendu.

Page — Il y a, en effet, un magnifique pied de nez qui attend le lecteur à la fin ! Un pied de nez au destin et à la vie, qui montre comment une existence peut tout d’un coup sortir de ses rails et connaître un bouleversement profond.
G. B. — Attention toutefois, ce livre ne fournit aucune réponse définitive. Le roman multiplie les questions sur la vie de couple, sur les relations entre jeunes mariés et jeunes amoureux, sur cette façon qu’ont les hommes d’être fidèles en amour, tout en n’étant pas vraiment irréprochables par ailleurs. S’il y a une chose dont j’étais néanmoins certain en écrivant ce livre, c’est que mon personnage est incontestablement amoureux de sa femme. Et quand il assure : « J’ai toujours été amoureux de ma femme », il n’y aucune raison de mettre en doute sa parole. Aucune malice dans cette virulente déclaration ! Il y a même si peu de malice que ça finit par agacer.

Page — En tant qu’homme, je me suis dit : Heureusement que l’auteur est un homme, car on se retrouve dans votre personnage, on se dit qu’il nous ressemble un peu…
G. B. — Mais il ne me ressemble pas, à moi ! Même si j’ai été beaucoup quitté… Bon, c’est évidemment mieux d’écrire sur des sujets qu’on maîtrise un minimum. Un de mes éditeurs m’a un jour encouragé à écrire sur ce que je connaissais. Je l’ai pris au mot. J’ai toujours beaucoup aimé ma femme et elle m’a toujours beaucoup quitté… Bref, voilà un personnage prodigieusement ordinaire. Alors oui, les hommes en prennent pour leur grade, c’est vrai. Je souligne ce qu’ils ont d’ambigu, leurs faiblesses et leurs failles. Pourtant, je ne suis pas sûr que tout soit négatif dans le portrait que je dresse de Jean-Baptiste. Il éprouve une vraie souffrance et il est réellement amoureux de sa femme. Il change, il prend conscience de choses qui modifient sa perception de la réalité et de l’existence. Le réel n’est jamais blanc ou noir, les hommes ne sont jamais bons ou mauvais, il y a la vie, et chacun se fait sa religion après avoir refermé le livre.

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