Littérature française

Laurent Quintreau

Ève et Adam

illustration

Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

De 1852 à 2046, Laurent Quintreau nous entraîne dans une course folle, une fresque historique à huit personnages, à la découverte de ce qui fait que le monde est monde : la fusion entre un ovule et un spermatozoïde dans le maëlstrom de la grande Histoire. Un roman d’aventures puissant et étonnant !

Dans ce roman, vous nous racontez une histoire qui va nous mener de 1852 à 2046, une histoire universelle, d’amour, celle de l’ovule et du spermatozoïde, celle d’Adam et Ève, mais vous inversez le propos. Dites-nous pourquoi.

Laurent Quintreau - C’est l’histoire de huit générations qui nous apparaissent au moment le plus crucial de leur vie, celui de la reproduction, et plus précisément entre l’accouplement et la rencontre des gamètes : il se passe quarante-huit à soixante-douze heures, ce qui est suffisant pour laisser naître une fiction. Plus on s’ancre dans le quotidien de ces personnes, plus on mesure que l’Histoire a tout faux. La mythologie d’Adam et Ève devrait, pour compenser le manque de visibilité d’Ève, s’appeler Ève et Adam.

 

Vous commencez par un roman naturaliste, vous terminez par un roman de science-fiction. Quand vous avez commencé l’écriture, aviez-vous déjà l’idée de ces huit fragments de l’histoire qui allaient finir par se rattraper ?

L. Q. - Il y avait cette idée de fresque historique avec huit personnages et huit modalités relationnelles différentes – droit de cuissage sous Napoléon III, amour romantique au moment de la Commune, amour non partagé sous la Troisième République, violence conjugale, adultère, réinitialisation de la vie conjugale avec le mariage pour tous et enfin matching génétique en 2046. De l’histoire microscopique, on va arriver à la grande Histoire, celle du mouvement ouvrier, de l’émancipation des femmes à Mee Too, au mariage pour tous. Mais sans la toute petite histoire de l’ovule et du spermatozoïde, la fresque historique ne peut exister.

 

Dans cette vaste épopée historique, vous nous montrez bien qu’il aura fallu ces 200 dernières années pour pouvoir oser dire qu’Ève devrait passer avant Adam ?

L. Q. - C’est aussi le résultat qu’un des personnages du roman espérait, Augustin Août, le socialiste de la Commune qui espérait que la science et la médecine aboliraient toutes les inégalités entre l’homme et la femme, mais aussi les inégalités physiques entre les personnes, et c’est une des conséquences de cette émancipation par rapport aux lois de la nature qui a permis aux femmes d’avoir la place qu’elles ont aujourd’hui.

 

C’est aussi un roman très drôle par moments, quand vous décrivez le combat du spermatozoïde pour accéder à l’ovule, mais aussi un vrai roman d’aventure.

L. Q. - Dans les premières pages du livre, on a le preux chevalier qu’est le spermatozoïde allant à la rencontre de l’ovule vu comme une grosse mollasse. À la fin du roman, c’est l’inverse, le spermatozoïde n’est qu’un guignol téléguidé par l’ovule qui anticipe chacune de ses réactions et de ses trajectoires. La sociologie des sciences nous montre aujourd’hui qu’on se trompait totalement et que c’est bien plus subtil que ce que l’on imaginait.

 

Le roman se termine en 2046. C’est loin et finalement pas tant que cela. Mais on ne va pas dévoiler la fin, ni ce dernier personnage de femme et ce qu’elle va faire pour sa vie amoureuse. J’espère qu’on n’en arrivera pas là ?

L. Q. - Vous avez raison, 2046, ce n’est pas si loin, le début des années 2000 nous paraît encore proche. Certaines choses vont se préciser, il y a des écarts qui vont encore se creuser, des pans de la société qui vont continuer à s’amenuiser et d’autres qui vont se renforcer. On a une vision assez précise de ce que ça pourrait devenir et ce dernier dilemme est digne des premières tragédies, entre choisir le bon amant et le bon géniteur. La science va nous permettre de modéliser de manière très précise ce que sera l’avenir des générations futures.

 

Entre ce qui se passait au XIXe siècle et ce que vous nous promettez en 2046, on peut quand même se dire qu’on est toujours loin du paradis sur terre.

L. Q. - Il y a un chapitre qui s’appelle « Le paradis retrouvé » : c’est l’histoire d’un ouvrier qui rencontre une jeune femme de la petite bourgeoisie dont il tombe éperdument amoureux et c’est un amour réciproque qui va durer quelques heures. Quand on se situe à ce moment de la révolution industrielle, la plupart des vies sont des vies de chien. Comme aujourd’hui.

 

En 1852, Louison Froissard se fait violer par son patron avant de partir à Paris, le ventre déjà rond. En 2046, Diane Froissard-Doucet nous ouvre la porte de son bureau en recherche génétique. Traversant deux siècles, Laurent Quintreau nous offre un roman foisonnant sur la recherche éperdue de l’amour jusqu’aux trahisons, à l’adultère ou au meurtre à petit feu. Huit personnages nous racontent 200 ans d’une lignée familiale et nous interrogent. Pourquoi l’Histoire racontée par les hommes a tant occulté le rôle des femmes puisque, au final, ce sont elles qui fécondent le monde ? Du roman naturaliste à la science-fiction, Ève et Adam est une invitation salutaire à repenser notre société.

 

Les autres chroniques du libraire