Littérature étrangère

Naomi Alderman

Le Pouvoir

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Chronique de Marianne Kmiecik

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Partout dans le monde, les femmes sentent monter en elles un étrange pouvoir. Elles sont de plus en plus nombreuses à être capables d’infliger une terrible douleur, voire la mort, grâce au courant électrique qui circule dans leur corps. Et si, d’un coup, les hommes devenaient le sexe faible ?

Il n’est pas étonnant de lire un commentaire de Margaret Atwood, la reine de la dystopie, sur la quatrième de couverture de ce livre. En commençant la lecture, on pense immédiatement à La Servante écarlate (Pavillons Poche), ou à Écarlate, d’Hillary Jordan (10/18) – ces deux romans extraordinaires plongent le lecteur dans des dystopies où les femmes sont complètement sous l’emprise des hommes, humiliées, maltraitées… Ces dystopies sont certes des œuvres de fiction mais elles excellent à mettre en lumière les injustices, les inégalités et le sexisme dont sont victimes les femmes dans notre propre société. Naomi Alderman prend ici le contre-pied de ces romans et imagine que ce sont les femmes qui détiennent le pouvoir. Grâce à un organe apparu sur leur clavicule, elles sont désormais capables de créer un courant électrique et de s’en servir comme d’une arme : du bout des doigts, elles peuvent blesser ou même tuer. Déjà remarquée pour La Désobéissance (L’Olivier) et Mauvais genre (L’Olivier puis en poche chez Points), la romancière anglaise frappe fort avec ce nouveau roman, lauréat du Bailey’s women’s prize 2017, un des plus prestigieux prix littéraires du Royaume-Uni. En suivant le destin de quatre personnages qui se croisent et s’influencent, Naomi Alderman nous embarque dans une société à l’aube d’un grand renversement. Il y a Allie, jeune fille victime d’un père adoptif qui abuse d’elle. Apprenant à maîtriser son pouvoir afin de ne plus être la victime, elle se lance sur le chemin de la grandeur, devenant Mère Ève, sorte de prêtresse-guerrière, à la tête d’un vaste mouvement. Il y a Roxy, fille d’un criminel dont la mère est assassinée sous ses yeux, détentrice d’un pouvoir à la puissance absolument phénoménale : elle le met au service de son désir de vengeance. Il y a Tunde, un journaliste qui comprend rapidement la complexité de la situation et qui a le chic pour se mettre dans des situations d’une incroyable dangerosité. Et il y a Margot, maire d’une grande ville et également mère d’une jeune fille dont le pouvoir est instable et difficile à maîtriser. Les femmes se regroupent, s’organisent, elles prennent le pouvoir. Mais jusqu’où sont-elles prêtes à aller, celles qui pourraient se venger de plusieurs siècles d’injustices et d’inégalités ? Ce sont maintenant les hommes qui ont besoin d’un prête-nom féminin pour publier leurs œuvres ou leurs recherches scientifiques ; ce sont eux qui doivent être accompagnés d’une femme pour avoir l’autorisation de sortir dans la rue ou de conduire une voiture ; à leur tour ils sont éloignés des postes clefs et des postes à responsabilités pour la simple raison qu’ils sont des hommes. Ce livre est à mettre entre toutes les mains : par ce sexisme renversé, il nous invite à réfléchir sur les travers, si nombreux, de notre société. Bienvenue en cette période où la parole se libère mais où encore tant de personnes doutent du bien-fondé des mouvements féministes. Une lecture indispensable et jubilatoire.

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