Essais

Roberto Saviano

Extra pure

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Chronique de Marianne Kmiecik

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Roberto Saviano et Manuel Rivas, écrivains-journalistes reconnus et respectés, s’attaquent tous deux au trafic de drogue. Si le texte de Rivas, apparenté au genre du roman, a des airs d’essai tant il est documenté, l’essai de Saviano est si passionnant qu’il prend des allures de roman policier !

Il est un métier presque aussi ancien que celui de pêcheur : contrebandier. Là où il y a des côtes, des ports et des barques, les hommes se livrent au trafic. À Noitia, village de pêcheurs espagnol, il y a tout ça ! Brinco, Fins et Leda y ont grandi et leur avenir est tout tracé : rallier la bande de Mariscal, l’emblématique trafiquant local, et se livrer à la contrebande. Leda et Brinco choisissent cette solution de facilité, mais Fins, lui, décide d’intégrer la police et de lutter contre ce qu’il a toujours connu. Que faire alors de l’amitié, de l’amour, du passé commun... Si le trafic se limite d’abord à l’alcool et au tabac, il prend rapidement une tout autre dimension ; de contrebandiers, les hommes deviennent narcotrafiquants ; les barques, des bateaux rapides ; le tabac, cocaïne. La lutte s’avère difficile ; la corruption gangrène toutes les strates de la société. Le combat est inégal, quel avenir pour un homme honnête parmi cent truands ? Cette question, on se la pose également à la lecture du texte de Roberto Saviano. Depuis la parution de son essai sur la mafia italienne, l’auteur vit sous protection policière permanente. Gomorra (Folio), superbe enquête sur le milieu mafieux, était un objet hybride. Essai historique et sociologique, il s’intéressait également à l’économie et à la politique, mais le style de l’auteur et la qualité littéraire du texte en font un véritable roman. Roberto Saviano n’est plus seulement journaliste, c’est un écrivain. Avec Extra pure, il réitère l’exploit d’écrire un texte sur l’histoire et l’économie du trafic de cocaïne et de rendre cela palpitant. Ce qui l’a poussé à enquêter sur ce trafic, Roberto Saviano l’explique ainsi : « Non seulement parce que j’ai grandi sur une terre où tout était décidé par les clans, non seulement parce que j’ai vu mourir ceux qui s’opposaient à leur pouvoir […]. Se plonger dans les histoires de drogue est l’unique point de vue qui m’ait permis de comprendre vraiment les choses. […] Je me suis aperçu que la coke était l’axe autour duquel tout tournait. La blessure avait un seul nom. Cocaïne. » Du Mexique aux États-Unis, en passant par le Guatemala, la Colombie ou l’Europe, la cocaïne est un fléau. Que ce soit dans les pays producteurs ou dans les pays consommateurs, partout elle instaure la violence, la corruption et la mort. On estime qu’entre 2006 et 2011, le trafic de drogue a coûté la vie à plus de 50 000 personnes au Mexique. Pourquoi ? Parce que la poudre blanche rapporte plus qu’un puits de pétrole ! C’est un bien qui ne craint ni l’épuisement des ressources, ni l’inflation, ni la crise. La lecture de ces deux textes laisse ahuri, abasourdi devant l’ampleur et la violence de ce trafic. Extra pure souligne et explicite ce que l’on soupçonne dans Tout est silence, le roman donne voix et corps aux faits et aux chiffres de l’essai. Voici deux immenses auteurs qui prouvent que journalisme et littérature se complètent et se répondent.

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