Littérature étrangère

Lael Wertenbaker

La Mort d’un homme

illustration

Chronique de Marianne Kmiecik

()

Les éditions Séguier lancent une nouvelle collection de littérature avec deux titres qui paraissent en ce début d’année : La Nuit du revolver de David Carr et La Mort d’un homme de Lael Wertenbaker. « L’IndéFINIE » impressionne déjà.

Partant du constat que « la littérature n’a pas la vie facile. Elle est masquée par tout ce qui se prend pour elle » [extrait du catalogue de La Pléiade], les éditions Séguier ont décidé de créer une collection dans laquelle la littérature pourra s’exprimer dans toute sa force et son ambiguïté. Une littérature à la fois incontestable et IndéFINIE. Ils frappent fort en ce début d’année avec un premier titre du journaliste américain David Carr. Dans La Nuit du revolver, récit aux multiples facettes, l’auteur raconte comment, après vingt années de consommation régulière de cocaïne, il s’est aperçu que ses souvenirs de cette période étaient, soit altérés, soit complètement faux. Décidant de partir à la recherche de son propre passé pour se réapproprier son histoire, il livre un texte foisonnant qui touche autant à l’intime qu’au trafic de drogue ou aux paradis artificiels. Le deuxième titre de la collection, La Mort d’un homme, est radicalement différent mais sans nul doute aussi puissant. Le succès rencontré aux États-Unis lors de sa parution lui valut une édition française en 1957 (Julliard). Cette première réédition sera l’occasion de (re)découvrir une œuvre rare, dont les thèmes sont toujours autant d’actualité. Lael Tucker était une journaliste américaine. C’est avec cette casquette qu’elle rencontra Charles Wertenbaker en 1940 à Londres, alors qu’ils travaillaient tous deux pour le Time Magazine. Ils tombent amoureux et s’installent à Paris après-guerre, souhaitant par-dessus tout vivre intensément. Ils travaillent énormément, ont des enfants, jouent au poker, dînent dans les meilleurs restaurants. Mais la vie trépidante qu’ils mènent a un coût et ils décident de quitter la capitale pour s’installer au Pays basque. Ils y reçoivent alors la fine fleur de l’intelligentsia américaine, dont Orson Welles en 1955. Lorsqu’en 1954, Charles se découvre atteint d’un cancer, tout bascule. Cette terrible nouvelle renforce les liens du couple, à tel point que Charles demande à Lael de l’aider à mourir quand le moment sera venu. Après l’échec d’une opération à New York, le journaliste se sait condamné et Lael entreprend de consigner les événements, jusqu’à la fin. Dans un style journalistique épuré et d’une sincérité bouleversante, elle évoque avec simplicité le rapport à la maladie, la souffrance. Elle s’interroge sur les questions de vérité et de mensonges face au cancer, à l’espoir. Elle revient aussi sur les événements de leur vie d’alors, les hauts et les bas, les bons comme les mauvais jours. Quel est son rôle ? Que doit-elle répondre à l’homme qu’elle aime quand il lui demande de l’aider à en finir ? Quand la mort n’est plus redoutée mais s’apparente davantage à la délivrance ? Ce texte est un trésor. La plus belle des histoires d’amour. L’honnêteté dont Lael Wertenbaker fait preuve, sa pudeur et son élégance, donnent à ce drame personnel une dimension universelle et fait naître en nous une empathie d’une force incommensurable.

Les autres chroniques du libraire