Littérature française

Fanny Chiarello

Une faiblesse de Carlotta Delmont

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Chronique de Nathalie Iris

Librairie Mots en marge (La Garenne-Colombes)

Une faiblesse de Carlotta Delmont, ou comment une cantatrice américaine en tournée dans l’Europe des années 1920 décide brusquement d’aller se perdre sans rien dire à personne dans le Paris des années folles. Un tour de force littéraire d’une jeune romancière au talent prometteur.

L’histoire est apparemment simple : nous sommes dans les années 1920, Carlotta Delmont est une cantatrice américaine de renommée internationale. Elle vient faire pour la première fois une grande tournée en Europe. Lorsqu’elle arrive à Paris, Carlotta Delmont est bien entendu accueillie avec tous les honneurs, dont celui de loger dans la plus belle suite du Ritz. Tout devrait donc se passer pour le mieux, le succès est déjà garanti, il s’agit tout de même de LA cantatrice du siècle : son manager se frotte les mains en pensant à son futur triomphe à l’Opéra. L’ensemble du personnel du Ritz est sur les dents, car tout doit se passer pour le mieux, tout doit être impeccable, sans aucune fausse note. Le degré d’exigence est porté à son maximum. Mais voilà, coup de théâtre ! Lorsqu’on vient la chercher pour aller chanter, Carlotta Delmont est introuvable, et au bout de quelques heures il faut se rendre à l’évidence : la célèbre cantatrice a disparu ! Son entourage est aux cent coups, cette disparition fait la une des journaux, d’autant que le mystère est entier. A-t-elle été enlevée, pour quelle raison, où se trouve-t-elle, est-elle en danger ? Rien de tout cela, apprend très vite le lecteur. Carlotta n’a pas été enlevée, elle ne court aucun danger, elle a simplement décidé de s’évader de sa cage dorée pour s’encanailler dans le Montparnasse des années folles, et ce pour notre plus grand plaisir. Nous la suivons dans sa cavalcade aux côtés de peintres, de poètes, de marginaux noctambules qui mènent la vie de bohème. On passe ainsi sans transition des dorures d’un palace parisien aux chambrettes humides et sales de ces artistes, dans lesquelles s’entassent pots de peinture, piles de livres cornés, miroirs cassés. On est au cœur de la création artistique, où plus rien n’a d’importance hormis les odeurs de térébenthine, les verres de vin rouge et les rimes indécentes. Liberté du corps, liberté des esprits ; dans cet univers le temps s’arrête quand on le décide, semble-t-il. Mais une cantatrice est-elle en droit d’avoir des faiblesses, si tant est qu’il s’agisse d’une faiblesse ? C’est ce que nous apprendrons à la toute fin de ce roman enlevé, passionnant, foisonnant de détails, écrit avec brio et intelligence. Fanny Chiarello s’est visiblement beaucoup documentée pour écrire ce roman, elle nous livre des informations et des anecdotes croustillantes sur la vie parisienne des années 1920. Comme elle est par ailleurs passionnée d’opéra, elle dépeint également, avec minutie, un univers musical d’une incroyable densité qui donne envie d’entendre les airs de Puccini et consorts. Le livre ne s’arrête pas là, car il est aussi offert au lecteur de partir en croisière sur un transatlantique, dessins à l’appui. Mais ne dévoilons pas la totalité des aventures de Carlotta. Sans plus attendre, lisez ce roman, parlez-en, et accordez-lui le succès qu’il mérite.

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