Littérature française

Marie Laberge

Du bon usage de la vie

L'entretien par Nathalie Iris

Librairie Mots en marge (La Garenne-Colombes)

Marie Laberge est une romancière de renom au Canada. Elle s’est fait connaître en France avec sa trilogie Le Goût du bonheur (Pocket). Elle revient aujourd’hui avec un magnifique roman choral, une fresque remplie d’espoir, aux accents très canadiens. L’histoire commence ainsi : Sylvain, trentenaire, met brusquement fin à ses jours, sans aucune explication. Ceux qui restent, ce sont son père, sa mère, sa femme, sa maîtresse, son meilleur ami. Ils racontent leur lien avec Sylvain et la manière dont son geste a changé leur vie.

Marie Laberge, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Marie Laberge — Je suis née à Québec, mais j’ai vécu la majeure partie de ma vie à Montréal, une ville que j’adore. J’ai commencé à écrire très tôt, d’abord pour le théâtre – il faut dire que j’ai une formation de comédienne. Puis je me suis tournée vers le roman, même si c’est au départ le théâtre qui m’a fait connaître. Deux de mes pièces ont d’ailleurs été jouées en France, dont une, Oublier, à la Comédie-Française. Ensuite, le succès est venu avec la trilogie Le Goût du bonheur.

Votre roman commence par le suicide d’un homme. Est-ce le thème principal du livre ?
M. L. — C’est au contraire un roman sur la vie, sur les gens qui doivent réapprendre à vivre après le suicide d’un proche. Mettre fin à ses jours est un acte violent, autant pour soi-même que pour son entourage. Je voulais traiter les conséquences d’un tel geste plutôt que les causes.

La mort de Sylvain est donc un élément déclencheur ?
M. L. — J’ai voulu montrer que nous sommes parfois confrontés, dans la vie, à des événements plus ou moins graves qui nous obligent à réagir, nous amenant par là même à devenir la personne que l’on est profondément. Ces événements nous construisent et nous permettent de devenir nous-mêmes. Même si, au départ, ils peuvent sembler ravageurs. C’est l’objet même de mon roman : montrer la force de vie que chacun de nous possède.

Votre livre parle beaucoup d’amour aussi…
M. L. — C’est un livre sur l’amour. Sur toutes les formes d’amour. Quand on est jeune, on est guidé par l’amour de nos sens, de nos hormones. Puis, au fur et à mesure que l’on avance dans la vie, d’autres formes d’amour apparaissent que l’on n’imaginait peut-être pas au départ. Chacun de mes personnages évoque une de ces formes d’amour.

Vous donnez voix à chacun des personnages alternativement. Peu à peu, les liens qui les unissent se révèlent et se renforcent.
M. L. — Effectivement. J’ai aussi voulu écrire sur la manière dont on se perçoit nous-mêmes, mais aussi comment on se voit par rapport aux autres et comment on imagine que les autres nous voient. Certains de mes personnages n’ont que faire du regard d'autrui. Pour d’autres, au contraire, c’est extrêmement important. Ce regard que l’on porte sur soi-même à travers les autres peut parfois être déterminant dans une vie… et faire son bonheur ou son malheur si l’on y porte trop attention.

Parlez-nous du style et du ton de votre roman. On y trouve nombre d’expressions québécoises, ce qui est assez original pour un lecteur français.
M. L. — Il y a plusieurs niveaux de langage, parce que les personnages ont chacun leur propre histoire et sont issus de milieux sociaux spécifiques. Le langage met souvent en lumière les différences sociales. J’ai aussi beaucoup fait parler les personnages sous forme de monologue intérieur, parce que je crois qu’il est important de se parler à soi-même. C’est un moyen de calmer la panique qui monte parfois en nous. Et puis parce que dans les grandes solitudes, nous sommes notre premier et dernier ami. Les autres ne sont pas toujours là pour nous soutenir, alors il faut pouvoir tenir le coup.