Littérature française

Metin Arditi

Femme-forteresse

L'entretien par Nathalie Iris

Librairie Mots en marge (La Garenne-Colombes)

Metin Arditi a donné à son nouveau roman la meilleure part de lui-même, dans une grande fresque qui commence au début du XXe siècle en Palestine et qui va se dérouler sur d’autres continents. On ne vous en dit pas plus, laissons la parole à l’auteur.

Pouvez-vous nous dire qui est Rachel ?

Metin Arditi - Rachel et les siens, c’est d’abord Rachel, le personnage principal, une enfant née au début du XXe siècle en Palestine et qui deviendra l’une des plus grandes dramaturges de son temps.

 

Où et quand débute le récit ?

M. A. - Le récit débute en 1917 à Jaffa, en Palestine ottomane. Les parents de Rachel sont juifs. Ils partagent une même maison avec une famille de Palestiniens chrétiens. La maison compte deux logements mais une seule cuisine. Là se noueront des liens profonds, là les deux familles ne feront qu’une… jusqu’à ce qu’éclate la guerre.

 

Comment décrire Rachel ?

M. A. - Au début du roman, Rachel a 12 ans. C’est est une enfant hors normes, très grande pour son âge, massive, mais avec le plus ravissant des visages. Ce qu’aime Rachel par-dessus tout, c’est raconter des histoires. Son père tient un commerce de tissus, et lorsque, après l’école, elle va livrer les lots d’étoffes aux clients, elle s’installe chez eux, invente mille histoires et ravit tout le monde.

 

Quels sont les autres personnages du roman ?

Metin Arditi - Outre Rachel, il y a Mounir, le fils de la famille palestinienne qui vit avec eux et qui est de trois ans l’aîné de Rachel, son frère de lait, son alter ego. Et puis il y a Ida, la juive ashkénaze, orpheline de père et de mère, une ravissante blonde aux yeux bleus qui a l’âge de Rachel. Si elle est orpheline, les parents de Rachel n’y sont pas pour rien. Ils portent en eux un sentiment de culpabilité et finiront par adopter la fillette. L’arrivée d’Ida dans la maison trouble le tandem que formaient Mounir et Rachel. Mais très vite, ces trois tisseront entre eux des liens passionnels.

 

Qu’avez-vous voulu évoquer à travers ce livre ?

M. A. - Rachel et les siens, ce sont tous ceux qui aiment cette terre, juifs et arabes, et qui s’entre-déchirent. Le problème, dira un jour Karl, le premier mari de Rachel, à leur fille Elisheva, c’est que tout le monde, ici, a raison. Karl et Elisheva périront dans un attentat aveugle organisé par une association nationaliste palestinienne financée par Mounir. Rachel et lui se retrouveront, on imagine dans quelle émotion°!

 

Quel sera le destin de Rachel ?

M. A. - Rachel aura d’autres maris :  Albert, un juif d’Istanbul ; François-Xavier, diplomate français de haut rang, beau, brillant, antisémite, avec lequel Rachel partagera une passion torride. Rachel aura aussi une autre fille, Rebecca, mais qui n’arrivera pas à faire oublier la première.

 

Quel rôle jouera le théâtre dans la destinée de Rachel ?

M. A. - Dans les tourments de l’Histoire qui secoue toute la Palestine durant le XXe siècle, Rachel affronte ces drames avec ténacité et courage, à Jaffa, à Tel-Aviv ou à Paris, à Genève, à Istanbul. Elle leur répond en se mettant au service d’une cause plus grande qu’elle : le théâtre. C'est sa manière à elle d’ordonner le monde, de trouver une harmonie et de donner un sens à ses propres blessures. Elle joue notamment une œuvre majeure qui sera donnée sur toutes les grandes scènes du monde. C’est à Paris qu’elle connaît son premier succès, en 1948, au théâtre du Luxembourg, avec une pièce intitulée Le Chemin de croix, qui raconte l’histoire d’un jeune homme français, tondu pour avoir vécu une passion sincère avec un officier allemand et dont la mère défend l'honneur avec panache. La pièce est reçue comme un choc et fait un triomphe.

 

Comment résumer ce livre en quelques mots ?

M. A. - Rachel et les siens, c’est une femme qui répond aux coups du destin, vent debout, en lui proposant son art. Rachel et les siens, c’est l’histoire d’une femme-forteresse.

 

Dans son nouveau roman, Metin Arditi a choisi de nous faire traverser une grande partie du XXe siècle avec une héroïne hors du commun, à la forte personnalité, une dénommée Rachel. Si le point de départ est la Palestine, le lecteur sera vite emmené en Europe et toute la complexité du siècle dernier sera alors déployée par le formidable romancier qu’est Metin Arditi. C’est un livre absolument passionnant, une grande fresque qui mêle la « Grande Histoire » au destin de personnages qui en sont tour à tour les acteurs et les victimes. On sait la préoccupation de Metin Arditi pour les problèmes liés à la question israélo-palestinienne. Ce roman traite de ce sujet avec perspicacité et objectivité. Il y est aussi beaucoup question de tolérance et d’apaisement. Une très grande réussite pour ce roman d’une résonance toute particulière pour tous ceux qui s’intéressent aux enjeux qui ne cessent d’embraser le Moyen-Orient.