Littérature étrangère

Kate Atkinson

Une vie après l’autre

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photo libraire

Chronique de Charlène Busalli

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La romancière britannique Kate Atkinson signe un roman virtuose, qui démontre avec brio l’importance du détail dans l’histoire. Un livre nécessairement difficile à résumer en raison de sa structure narrative, mais je vais faire de mon mieux pour rendre hommage à ce grand roman !

La scène d’ouverture a déjà de quoi frapper l’esprit du lecteur. Nous sommes en novembre 1930. Une jeune femme anglaise entre dans un café où se trouvent Adolf Hitler et son entourage. Elle échange quelques mots avec celui qui deviendra le Führer, avant de pointer une arme sur lui. Puis « les ténèbres s’abatt[ent] ». Ensuite, le roman semble recommencer. Nous sommes le 11 février 1910. Il neige. Une femme accouche d’une enfant mort-née avant que le médecin ait eu le temps d’arriver. Mais le roman recommence encore. Nous sommes à nouveau le 11 février 1910. Cette fois, le médecin arrive à temps et l’enfant survit. Cette enfant, qui deviendra la jeune femme mettant en joue Hitler, c’est Ursula Todd, l’héroïne du roman. Et celle-ci connaîtra bien des morts – par noyade, maladie, assassinée – et tout autant de renaissances, jusqu’au dénouement final. Ursula Todd aura donc l’opportunité de vivre plusieurs vies. Elle sera confrontée à l’épidémie de grippe espagnole. Elle fera une rencontre malencontreuse en la personne d’Howard, un ami de son grand frère. Elle aura l’occasion de visiter l’Allemagne, où elle fera la connaissance d’une certaine Eva Braun. Elle se terrera dans une cave durant le Blitz, éprouvant, aux côtés des autres Londoniens, toute l’horreur des bombardements. Chaque fois, alors qu’Ursula semble se trouver dans une situation inextricable, un petit détail de son histoire change et lui permet de prendre un chemin différent. Et le roman n’en reste pas là, puisqu’en grandissant, Ursula Todd éprouve très vite d’étranges sensations de déjà-vu. Se pourrait-il que les actes manqués qui abondent dans sa vie ne soient pas tout à fait innocents ? Tout le génie de Kate Atkinson réside dans son habileté à construire un roman non linéaire, sans jamais perdre le lecteur. Car malgré sa complexité narrative, Une vie après l’autre est bien loin d’être un roman abscons. On passe avec un grand intérêt d’une époque à une autre, on s’attache à tous ces personnages que l’on retrouve à différentes périodes de leur vie, on se laisse porter par l’atmosphère des différents lieux dans lesquels la romancière nous emmène. Le roman évoque tour à tour la vie paisible d’une famille de la classe moyenne anglaise d’avant-guerre, le départ des hommes au front lors des deux conflits mondiaux, l’atmosphère de fin du monde d’un Londres bombardé. Mais Kate Atkinson raconte aussi de manière profondément intime les incertitudes, les souffrances, les étonnements et les petits bonheurs d’une jeune fille qui deviendra femme, alors que la grande Histoire suit son cours inexorable autour d’elle. Une vie après l’autre offre une réflexion sur le temps, sur le pouvoir que chacun d’entre nous peut avoir sur sa propre vie, et notre responsabilité face à toutes ces petites décisions que nous prenons au cours de l’existence. Finalement, comme tous les bons romans, Une vie après l’autre est tout simplement un livre sur ce que c’est qu’être humain.

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