Littérature française

Charif Majdalani

Villa des femmes

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photo libraire

Chronique de Charlène Busalli

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L’auteur libanais francophone revient avec un grand roman tout aussi magnifique que les précédents. Villa des femmes offre une nouvelle variation sur un thème cher à Charif Majdalani, celui de la grandeur et du déclin des clans libanais, en s’intéressant cette fois aux femmes de ces grandes familles.

C’est avec une douce mélancolie que Noula, le chauffeur des Hayek, raconte l’histoire tragique de cette grande famille chrétienne qu’il a servie pendant des années. Skandar Hayek disait en riant que leur fortune avait pour origine un ancêtre qui s’était enrichi en vendant de la bouse de chameau comme engrais. Cela avait le don d’exaspérer sa sœur Mado, pour qui la noble histoire du clan n’était pas matière à plaisanterie. Skandar menait lui-même les affaires de la famille d’une main de maître, ayant fait prospérer le négoce de tissus qu’il avait hérité de son père. Il avait épousé Marie Ghosn, qui lui avait donné trois beaux enfants malgré le fait qu’elle ne l’ait jamais aimé, puisqu’on lui avait imposé ce mariage pour lui faire oublier un amour de jeunesse inférieur à sa condition. Skandar partageait la tête de la municipalité d’Ayn Chir avec Hachem Rammal, le patriarche du clan chiite voisin. Mais les deux clans finirent par perdre la municipalité au profit des partis politiques et, peu après le soulèvement des Palestiniens, en 1969, Skandar s’effondra, mort. Son cadet Hareth s’étant lancé dans un périple autour du monde et sa fille Karine, dont il était le plus proche, ne pouvant hériter, c’est en toute logique son aîné Noura qui reprit les rênes du domaine. Mais celui-ci était loin d’être aussi habile que son père dans les affaires et, tandis que la guerre du Liban éclatait en 1975, le clan Hayek entama son inexorable déclin. La plume habile de Charif Majdalani convoque une atmosphère orientale sublime, nous invitant à vagabonder au milieu des orangeraies du grand domaine familial. Il nous fait voyager aux côtés de Hareth, dont les pérégrinations le mèneront aux quatre coins de l’Orient et même au-delà. Il dresse surtout le portrait de personnages dignes d’une grande tragédie et met au premier plan celles qui sont trop souvent oubliées par l’Histoire. Car, quand tout s’effondre tandis que le pays se retrouve à feu et à sang, ce sont bien les femmes qui resteront les dernières debout, inflexibles, prêtes à vivre ou à mourir là où elles sont chez elles, sans que personne ne puisse les en déloger. Marie, sa belle-sœur Mado et sa fille Karine, mais aussi Jamilé, la cuisinière dont Noula est amoureux mais qui n’est pas femme à se donner au premier venu, tiendront la villa jusqu’au bout, quand bien même tous les hommes de la famille ont déserté, et malgré les profonds désaccords qui existent entre elles. Et c’est Noula, ébahi devant tant de force et de volonté, réduit au simple rôle de témoin, qui restera le dernier pour raconter leur histoire. Les précédents romans de Charif Majdalani ont été plusieurs fois sélectionnés pour les prix de l’automne, Renaudot, Femina ou encore Médicis. Porté par une langue superbe et un talent de conteur hors pair, cet auteur libanais est en train de construire une œuvre qui mériterait incontestablement une telle récompense. Espérons que ce très beau nouveau roman sera l’occasion de la lui accorder.

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