Littérature étrangère

Jessie Burton

Miniaturiste

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photo libraire

Chronique de Coline Hugel

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C’est garanti, si vous ouvrez Miniaturiste, vous allez avoir du mal à refermer le livre sans l’avoir fini ! Jessie Burton nous fait découvrir une ville et une époque étonnantes à travers les yeux d’une jeune femme attachante, ballottée par des événements qu’elle ne peut pas maîtriser et qu’on ne veut plus quitter.

Nous sommes en 1686 à Amsterdam, une époque et une ville en pleine ébullition, dans une société à la fois très en avance et en même temps écrasée par des codes et des lois, encadrée par un ordre religieux très puissant. Nella est une jeune fille en fleur, prête à découvrir la vie, encore très naïve mais qui peut montrer une grande maturité. Elle arrive de la campagne pour prendre place à côté de l’homme qu’elle vient d’épouser. Elle est cependant loin d’imaginer ce qui l’attend ! La belle maison dans laquelle elle s’installe regorge de lourds secrets, profondément cachés, les personnes qu’elle côtoie sont plus qu’étranges et la mettent mal à l’aise, et son mari semble aux abonnés absents. Il lui offrira comme cadeau de mariage, pour l’occuper, une maison de poupée qui représente à l’identique leur maison. Une bien curieuse miniaturiste va se charger de la remplir, l’amenant à découvrir petit à petit ce qui se cache dans cette famille surprenante. Un premier roman passionnant.

 

Page — Pour votre premier roman, vous avez fait le choix de nous plonger dans l’Amsterdam de la fin du XVIIe siècle. Pourquoi avoir choisi cette ville et cette période ?
Jessie Burton — Tout a commencé en octobre 2009, quand j’ai vu la maison de poupée de Petronella Oortman au Rijksmuseum d’Amsterdam. Il faut la voir pour le croire ! C’est une construction magnifique, à la fois imposante et compliquée, qui attire immédiatement l’œil. Il y a toujours du monde qui fait la queue pour l’observer attentivement. Et puis j’ai commencé à penser à elle avec une vision littéraire et elle est très rapidement devenue une source d’inspiration très riche. Cette maison est un symbole de cette ville et de cette période, remplie de bibelots venant de l’Extrême-Orient, dont la réalisation coûte très cher, un miroir de la vie commerçante à la fin du XVIIe siècle. J’ai acheté le catalogue de l’exposition dans la boutique du musée et j’ai continué à lire des choses sur elle, à penser à elle. Un mois ou deux plus tard, j’ai laissé tomber les autres choses que j’étais en train d’écrire et j’ai imaginé cette jeune femme, arrivant dans cette ville. Je ne savais absolument rien sur l’Amsterdam du XVIIe siècle, alors j’ai regardé dans mes livres, j’ai cherché des peintures, j’ai lu des testaments et des inventaires. J’ai aussi utilisé un livre de recettes de 1671. C’était un moment passionnant d’être dans cette ville pleine de puissance, au commerce florissant, débordante d’inventivité et d’ébullition. La Compagnie hollandaise de l’Inde orientale a été la première société dans le monde. À cette époque, cet empire commercial était beaucoup plus puissant que les empires politiques britannique ou français. La maison de poupée est une représentation de cela. Elle illustrait à la fois les aspirations secrètes de Petronella, mais aussi sa réussite sociale en tant que femme dans une société patriarcale. C’est pour moi une allusion au manque de contrôle dans sa vraie vie, un moyen de se retirer dans une représentation réduite de son intérieur domestique pour exprimer ce qu’elle devait taire dans la société qui l’entourait. C’est un univers fait de secrets, une intimité illusoire et verrouillée.

Page — Nella est une jeune fleur qui commence juste à éclore. Elle vient dans cette maison pour vivre avec son nouvel époux et se retrouve écrasée par une ambiance à la fois plombée et effervescente, par une famille engoncée dans ses secrets. Elle va pourtant se révéler à elle-même et aux autres, et grandir. Avez-vous voulu écrire un roman initiatique ?
J.-B. — Oui, je pense que c’est ce que j’ai fait. D’une certaine manière, c’est un conte classique qui part de l’innocence et qui va vers l’expérience. Nella est une jeune femme très chanceuse. À l’âge de 18 ans, elle a une vision pleine de confiance de l’amour. Elle s’est échappée d’une vie ennuyeuse à la campagne, d’un père alcoolique qui buvait tout leur argent. À partir de ce moment, elle croit que tout ce qui va arriver sera comme un souffle nouveau pour elle. Mais elle est aussi ignorante de comment les autres vivent, elle ne sait pas que grandir nécessite altruisme et compromis. Elle pense qu’elle comprend ce qu’elle voit. Elle est notre narratrice mais elle n’est pas très fiable. En fait, dans cette maison, les apparences sont toujours trompeuses. À la fin du livre, elle a subi de nombreuses pertes et vécu beaucoup d’épreuves, dont elle ressort avec une force intérieure qu’elle n’aurait jamais imaginée.

Page — Amsterdam est une ville à la fois très en avance sur certaines choses, mais aussi très conservatrice, courbée sous le joug de la religion. C’est une ville en ébullition, passionnante, où les fortunes se font et se défont de manière fulgurante. Finalement, ne serait-ce pas elle le personnage principal du livre ?
J.-B. — Plusieurs personnes ont fait la remarque que la ville d’Amsterdam est un protagoniste du livre, tout comme la maison dans laquelle les personnages vivent. Je ne pense pas qu’elle soit l’élément principal, mais cette société, son hypocrisie et sa gloire, ses points positifs et négatifs, influence totalement le ton et l’ambiance du livre et les personnes qui doivent y vivre. Ils doivent faire avec, ils sont donc le reflet de ces particularités.

Page — Parlons un peu de ce personnage très étonnant qu’est la fameuse miniaturiste. C’est une femme qui exerce un métier, chose extrêmement rare voire quasi inexistante à cette période. En outre, elle semble avoir des dons de voyance. On ne la rencontre pratiquement jamais et pourtant elle irradie dans tout le livre. Est-ce une sorte de sorcière ? Ou bien juste une femme particulièrement sensible et intelligente, un peu hors de son temps ?
J.-B. — Je retiendrais plutôt la deuxième proposition. Elle est autant un esprit qu’un vrai personnage du livre. On peut penser qu’elle est le cœur battant du roman. Elle est à la fois essentielle dans l’histoire que je voulais raconter, mais elle est aussi en périphérie, une annonciatrice du destin et de l’autodétermination, un mystère bien en vue. La miniaturiste met en exergue les questions de la perception, de ce que l’on voit et que l’on ne voit pas, de comment le pouvoir de changer la direction de nos vies réside en nous. Elle est un esprit rebelle, dangereux, une force négative pour certains et positives pour d’autres. C’est à chacun de nous de choisir ce qu’elle est. Quoi qu’il y ait au fond de nous, elle en est le reflet. Elle est le résultat de la perception des autres, ce qui est exactement le cas pour chacun d’entre nous, qu’on le veuille ou non. Pour un personnage elle est une espionne, pour un autre, elle est une prophétesse, pour encore un autre, elle est un réconfort. La miniaturiste est une fine observatrice. Finalement, la plupart des choses qu’elle fait dans l’histoire sont explicables. C’est pourquoi, pour moi, il y a plus d’une miniaturiste dans le livre. Nella est aussi une miniaturiste, elle prend les rênes à la fin du livre, elle a repris le contrôle de sa vie, du moins du mieux qu’elle puisse le faire.

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