Littérature étrangère

Maria Ernestam

Le Peigne de Cléopâtre

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photo libraire

Chronique de Coline Hugel

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Après avoir reçu le prix Page des Libraires en 2011 (ex aequo !) pour le sublime Les Oreilles de Buster, Maria Ernestam revient avec une très jolie histoire d’amitié qui fait la part belle aux rebondissements et à l’exploration des sentiments, comme l’auteure sait si bien le faire.

Mari, « trop blonde, trop ronde, trop nature » est amie avec Anna. Une curieuse amitié qu’elle qualifie de « miracle mathématique [qui prouve] que deux lignes parallèles peuvent se rencontrer », et qui dure depuis des années. Anna, elle, est ultra-féminine, ouvre grand sa gueule – pas toujours au moment opportun – et sait faire le café comme personne. Toutes les deux sont follement amies avec Fredrik, mâle sublime et terriblement secret. Un jour de désarroi professionnel, nos trois lascars décident de monter une entreprise d’aide à la personne, afin de mettre en œuvre l’ensemble des compétences que tous trois maîtrisent… ou qu’on leur attribue. Vous avez besoin d’aide pour rédiger votre testament ? Votre armoire ne ferme plus ? Vos enfants sont nuls en mathématiques ? Ne cherchez plus ! La société Le Peigne de Cléopâtre est là pour répondre à vos besoins ! Tout se passe pour le mieux, jusqu’au jour où une vieille dame vient leur demander de… liquider son époux ! Certes, la pauvre femme est martyrisée par son tyran de mari, mais tout de même, la demande est pour le moins délicate. Comment convaincre cette femme que le meurtre ne rentre pas dans leur panel d’offres ? Et comment lutter contre la conviction que ce pourrait être la meilleure solution pour tout le monde ? Surtout quand un très gros chèque attend les liquidateurs. Les trois amis se trouvent face à un cruel dilemme. Cette situation peu courante les incite à mener, chacun de leur côté, une véritable introspection personnelle. Mari n’a peut-être pas tout raconté de son passé en Irlande, quand elle vivait avec David. Fredrik cache quant à lui beaucoup de choses de son passé, voire la totalité, et n’en dit pas beaucoup plus sur sa vie intime. Et Anna, qui a un mal fou à communiquer avec sa fille unique et qui occulte un bonheur possible, peine à mettre de côté son excentricité et son grain de folie, cause de ses difficultés avec sa fille. Comment être honnête avec les gens quand on ne l’est pas forcément avec ses meilleurs amis… et avec soi-même ? Maria Ernestam décortique les relations entre les gens et les réactions que chacun peut avoir face à des événements inattendus. Spécialiste de l’âme humaine depuis son premier livre, le très beau Toujours avec toi (2010), elle s’attaque cette fois au sujet sensible de l’amitié. Délicate, intelligente et subtile, elle évite (comme toujours !) les écueils de la facilité et de la psychologie de bas étage. Ses personnages sont denses, beaux, loin du monochrome, et nous semblent incroyablement proches. Cette auscultation des problèmes humains est pleine de surprises, qui apparaissent, en même temps, très évidentes. C’est cette ambiguïté permanente et cette proximité qui touchent et procurent un réel plaisir de lecture. L’auteure nous balade de surprises en dénouements inattendus et donne des allures de roman policier à cette belle histoire. L’amitié est un sentiment complexe et Maria Ernestam lui rend un bel hommage.

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