Polar

Leonardo Padura

Hérétiques

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photo libraire

Chronique de Coline Hugel

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Est-il possible de faire rentrer dans le même roman la vie d’un jeune Juif à Cuba dans les années 1930, un moment de la vie de Rembrandt et les dérives de la jeunesse cubaine de nos jours ? Bien sûr, il suffit juste de s’appeler Leonardo Padura ! Hérétiques nous parle d’art, de trahison, d’Histoire et surtout d’amitié.

Ah, quel bonheur de retrouver ce cher Mario Conde ! Plongé jusqu’au cou dans ses difficultés financières (le marché du livre ancien est plus qu’aléatoire) et ses interrogations amoureuses (doit-il affronter ses peurs et demander la main de la belle Tamara ?), il va être abordé par un « mastodonte aux cheveux noués en queue de cheval », fils d’une mère cubaine et d’un père polonais se revendiquant du « parti des mangeurs de haricots noirs et de yucca en sauce ». Cet homme, envoyé par son ami Andrés, le plonge dans son histoire familiale et dans un passage peu glorieux de l’histoire de Cuba, celle du SS Saint-Louis. En 1939, ce navire arrive aux abords de la Havane chargé d’un petit millier de Juifs fuyant le régime nazi. Après plusieurs jours de négociations, de magouilles et de promesses non tenues, le bateau est renvoyé avec tous ses passagers vers l’avenir malheureux que l’on connaît. Parmi ces voyageurs se trouvait une grande partie de la famille Kaminsky, persuadée de pouvoir se sortir de ce mauvais pas car transportant un tableau de très grande valeur. Sur le quai, le tout jeune Daniel attend avec anxiété que ses parents et sa sœur descendent du bateau et le rejoignent. Hélas… Ce n’est pas animé par un désir de vengeance que le descendant de Daniel Kaminsky vient trouver Mario Conde, mais bien pour essayer de comprendre comment et pourquoi ce fameux tableau, le sésame qui aurait dû sauver la vie de sa famille, se retrouve dans une vente aux enchères à Londres ! Peinte par Rembrandt, cette étude préparatoire à la réalisation des Pèlerins d’Emmaüs représente le buste d’un jeune homme ressemblant au Christ. Il n’en faut pas plus à Padura pour nous faire faire un saut dans le temps et nous ramener en 1643 à Amsterdam, sur les pas d’Elias Ambrosius, jeune juif peintre dans l’âme… et surtout dans l’ombre (la peinture est une activité totalement interdite chez les juifs !), qui ne rêve que d’une chose : devenir un des élèves du grand maître, le génial et extraordinaire, mais néanmoins controversé, Rembrandt Harmenszoon van Rijn. Usant de ténacité, d’abnégation et de talent, il arrivera non seulement à ses fins, mais deviendra une des personnes les plus proches du génie. Par petites touches discrètes, Padura raconte le vrai Cuba, celui qui est dur mais beau, celui qui oblige ses habitants à enchaîner les fauteuils, même lamentables, aux piliers des terrasses pour éviter de se les faire voler, celui qui ne permet à ses assoiffés de ne boire que de la mauvaise gnôle, mais aussi celui qui parvient à faire germer l’amour, l’amitié et la vie dans ce terreau pas toujours propice. Assister à une des nombreuses réunions de Mario Conde et ses amis, où l’alcool coule à flots et où les estomacs se régalent de la cuisine savoureuse et abondante de la vieille Josefina, c’est un peu comme s’offrir une parenthèse de bonheur et d’amitié profonde, comme se lover dans quelque chose de confortable et de sécurisant. C’est se rappeler que, quoi qu’il arrive dans la vie, que ce soit des choses très belles ou très dures, les vrais amis sont toujours là et que ça, c’est le plus grand des trésors.

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