Littérature étrangère

Hillary Jordan

Écarlate

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Chronique de Coline Hugel

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Et si vous viviez dans un monde rigide et intolérant, dans lequel le moindre délit se retrouve gravé dans les pigments de votre peau ? Et si une milice était à vos trousses pour vous tuer et que votre seule chance de survie était de disparaître de la circulation en abandonnant votre famille ?

Dans le monde d’Hannah, il n’y a plus de prison. Il y a une vingtaine d’années, le Parlement a voté une loi qui a instauré le mélachromatisme, procédure qui permet de colorer les prisonniers en fonction de leur crime : jaune pour les petits délits, bleu pour les viols, rouge pour les meurtres. Cette nouvelle technologie a permis de vider les établissements pénitentiaires surpeuplés, dégradés, et qui ne garantissaient plus des conditions de vie convenables aux détenus. Cela a aussi permis aux gouvernements fédéraux de faire de sérieuses économies, vitales après la Seconde Grande Dépression. Aujourd’hui, Hannah se réveille et elle est Rouge. À l’âge de 26 ans, elle a commis le crime le plus sévèrement réprimandé : elle a avorté. Elle n’est pas tombée enceinte à la suite d’un viol ou d’une histoire sordide, mais au cours d’une magnifique et brûlante histoire d’amour... avec un homme marié ! Double péché, puisque dans son monde, le mariage et la procréation sont deux choses sacrées. L’Église est devenue omniprésente et d’une puissance sans limite, c’est elle qui dicte la vie quotidienne et son influence s’étend jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Le monde d’Hannah, ce sont les États-Unis dans un futur tellement proche qu’il ressemble à demain. Un futur plausible et effroyable, un de ceux qui nous donnent à réfléchir, que l’on voudrait à tout prix changer et surtout ne jamais connaître. La vie d’une chromelle (comprendre une personne colorisée) ressemble furieusement à celle des parias de notre société : sans-abris, sans-papiers, personnes démunies dont on s’écarte et qu’on n’ose plus regarder. Les chromes vivent en marge, dans des ghettos, repoussés, refusés, détestés. Ce type de société engendre forcement des activistes extrêmes, dans un sens comme dans l’autre, et ici c’est le Poing du Christ qui pourchasse, tabasse et tue les chromes. Fanatiques religieux qui croient défendre des valeurs (la famille, la religion, l’obéissance, ça ne vous rappelle rien ?), ils sont heureusement combattus par des groupes résistants qui rassemblent la « lie » de cette société : homosexuels, féministes et autres libres penseurs. « Dans son milieu, les féministes étaient considérées comme des femmes contre-nature qui cherchaient à renverser l’ordre de Dieu, à saboter la famille, à émasculer les hommes et, de concert avec les gays, les athées, les avorteurs, les satanistes, les pornographes et les humanistes laïques, à pervertir le mode de vie américain. » Dans ce polar-futuriste-militant, Hillary Jordan dénonce les dérives de nos sociétés actuelles et nous prédit un avenir bien sombre si on ne réagit pas. Cette société inventée n’est que l’image exagérée de celle que nous connaissons. Et même si le trait est particulièrement forcé, elle n’en demeure pas moins crédible. Religion et fanatisme, étroitesse d’esprit, répression et centres de redressement, les graines du futur sont déjà là et ne demandent qu’à germer. À nous alors de nous réveiller et de lutter contre ces formes d’intolérance pour ne jamais en arriver là. À bon entendeur...

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