Littérature étrangère

James Meek

Le Cœur par effraction

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photo libraire

Chronique de Coline Hugel

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Avec cynisme et réalisme, James Meek décortique les relations entre un frère et une sœur, relations faussées par la notoriété que chacun connaît (ou croit connaître !) dans son domaine. Un vrai régal de drôlerie et d’intelligence que l’on dévore avec délectation et un certain sentiment de cruauté.

Ritchie a une quarantaine d’années, il est riche, célèbre, a deux beaux enfants et vit dans une superbe propriété dans l’Hampshire, non loin de Londres. Il est marié avec Karin, la femme qu’il a toujours aimée et avec qui il formait, dans leur jeunesse, un des groupes de rock les plus connus d’Angleterre. À première vue, tout semble lui réussir, sauf que Ritchie a un petit penchant, assez gênant, pour les jeunes filles... Et des jeunes filles, il en a souvent sous les yeux puisqu’il est producteur d’une émission de télé-réalité, Relooking d’ados, dans laquelle minets et minettes apprennent à devenir des stars de la musique. Vous imaginez la suite ? Vous ne vous trompez pas ! Ritchie, qui a tout pour être le plus heureux des hommes, se révèle, pour notre plus grand bonheur, un des plus beaux loosers de la littérature anglo-saxonne ! Vous pensez qu’il en a pris une bonne couche et que rien de pire ne peut lui arriver ? Et pourtant si ! Il s’avère que sa jeune sœur Rebecca, ou plutôt Bec, obscure chercheuse scientifique, certes de talent mais très loin de la lumière des projecteurs, fait une découverte d’une importance capitale et va devenir très rapidement extrêmement célèbre. Et pour corser l’affaire, elle va quitter son petit ami qui n’est autre qu’un des plus grands patrons de presse à scandale et qui va s’avérer plus que rancunier... Vous faites le lien ? Vous voyez juste ! Non seulement Ritchie va découvrir la jalousie (les journaux ne parlent plus de lui depuis longtemps et maintenant il n’y voit plus que sa sœur), mais surtout il se retrouve harcelé par l’ex de Bec qui cherche à se venger à tout prix. L’étau se resserre autour de lui et son manque total de réactivité donnera lieu à une scène d’anthologie, celle de sa tentative de suicide complètement ratée, loufoque et désespérément drôle. James Meek plonge les mains dans cette curieuse famille et dissèque tout ce qui se passe entre Ritchie, Karin, Bec et Alex (l’ancien batteur du groupe de Ritchie et le nouveau petit ami de Bec !) pour essayer de comprendre comment fonctionnent les choses dans notre société actuelle, dévorée par la télé, Internet, les médias, le sexe et cette idée compliquée qu’est la célébrité. Mais ce qui se trame réellement se révèle au fil des pages quand se pose la question qui hante les personnages : peut-on trahir pour une bonne cause (ou du moins ce que l’on définit soi-même comme une bonne cause) ou se doit-on d’être loyal jusqu’au bout ? Taraudés par cette question depuis leur plus tendre enfance, leur père étant mort pour être resté loyal à sa cause, Ritchie et Bec construisent leurs vies sur des pierres parfois un peu bancales mais réussissent bon gré mal gré à avancer. Drôle, cynique, intelligent, pertinent, passionnant, les qualificatifs ne manquent pas pour définir cet excellent roman mené de main de maître par un James Meek en grande forme. L’image qu’il donne de notre société n’est pas rose, mais elle a le mérite d’être honnête et nous rappelle que certaines valeurs sont loin d’être ringardes. Excellent !

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