Jeunesse

La Revanche des princesses

illustration

Chronique de Gaëlle Farre

Librairie Maupetit (Marseille)

Quand six auteures dynamiques et engagées s’emparent du personnage de la princesse, cela donne des textes pêchus avec des fins inattendues. Point de langueur ici ! On a affaire à des héroïnes qui sortent des cadres et qui vont là où on ne les attend pas. C’est audacieux, inspirant. Entretien avec l’éditrice et ses auteures.

Sous une tonique couverture rose aux accents violets et rouges, il y a un recueil de six nouvelles mené par six auteurs que l’on aime et apprécie fort en jeunesse : La Revanche des princesses. Sandrine Beau, Clémentine Beauvais, Charlotte Bousquet, Alice Brière-Haquet, Anne-Fleur Multon et Carole Trébor mettent toutes en scène des princesses comme on n’en a pas l’habitude d’en voir. Entendez par-là que leurs héroïnes sont poilues, colorées ou bien aventurières. Elles sont en colère, se posent des questions et ne se marient pas forcément. Elles ont de la personnalité et n’ont pas la langue dans leur poche ! Rajoutons à cela que les nouvelles sont illustrées avec panache par Kim Consigny et nous obtenons un recueil atypique et on ne peut plus moderne qui bouscule pas mal d’idées reçues sur le genre en général et la figure ancestrale de la princesse bien sous tous rapports en particulier. C’est rafraîchissant, c’est chez Poulpe et c’est une lecture hautement recommandable !

 

PAGE — Comment est né ce projet ?
Manon Sautereau —
D’une nouvelle qu’Anne-Fleur Multon nous avait envoyée, qui s’appelait La Princesse en colère, et qui interrogeait avec humour le rôle souvent passif attribué aux filles dans les contes traditionnels. Et si, pour une fois, la princesse devenait la véritable héroïne de son histoire ? Résonnant évidemment avec l’actualité, ce sujet était intéressant : on a eu envie de proposer à cinq autres auteures talentueuses de s’en emparer. Elles l’ont fait, chacune à leur manière, poétique, symbolique, épique, sarcastique, donnant chacune sa définition d’une princesse aujourd’hui.

P. — Quel message avez-vous voulu faire passer à travers vos histoires ?
Sandrine Beau — Je voulais que Céleste soit loin des stéréotypes de la princesse, mince, élancée, blonde de préférence… et j’en oublie ! Céleste a la cuisse rondelette et le mollet dodu, ce qui ne l’empêche nullement d’être jolie et d’avoir du charme. Ça, c’était la première chose que j’avais envie de dire aux lectrices. On peut ne pas correspondre aux canons « officiels » de la beauté et être belle ! Et puis, en tant que femme et ex-fille, j’en ai par-dessus la tête des injonctions qui nous sont faites et qu’on ne peut jamais atteindre. Ces avis sur le corps féminin (parfois contradictoires, qui plus est !) sont un véritable poison qui entame notre confiance dès le plus jeune âge. J’ai eu envie de dresser le portrait d’une héroïne pétillante, pleine de vie et de bon sens, qui aime rire et qui n’a pas envie de se laisser marcher sur les pieds. Une jeune fille, bien dans ses pantoufles de princesse, qui vit la vie dont elle a envie. Libre et aventureuse.
Charlotte Bousquet — Nous vivons dans une société où tout ce qui relève de la nature, du féminin, du vivant, est considéré comme inférieur, où ce qui compte, ce sont les chiffres, la compétition, etc. Et on voit où cela nous mène ! Par sa force intérieure, Ana, une « rien », fait exploser ce carcan patriarcal. C’est important, urgent même, que les lectrices et les lecteurs se réapproprient leur sensibilité, leur puissance d’être eux-mêmes, sans honte. Comme le dit Sandrine, les regards extérieurs sont des poisons dont il est temps de se débarrasser. L’amour et l’intuition ne sont pas des faiblesses mais des forces. Les princesses le savent.
Clémentine Beauvais — J’aimais bien l’idée d’un animal en peau de princesse. Ça m’a permis d’explorer cette chose bizarre qu’on a parfois, l’impression que notre corps n’est pas totalement ajusté, qu’on est trop à l’étroit, que ça démange à l’intérieur. Des questions féministes par excellence mais aussi fondamentalement humaines. Ce décalage entre notre liberté ébouriffante et notre corps qui nous rappelle au monde.

P. — Les princesses, ça vous faisait rêver petites ? Et maintenant ?
Carole Trébor — Je ne m’identifiais pas aux personnages de princesses, elles m’ennuyaient un peu. Aujourd’hui, une princesse qui me fait rêver, c’est une fille qui devient la princesse qu’elle veut être, qui se sent responsable du monde et qui agit pour qu’il s’améliore.
Charlotte Bousquet — Les petites filles blondes et roses, polies et douces, je les enviais parce que je ne leur ressemblais pas. Je n’étais pas conforme. Aujourd’hui, je crois que, si être une princesse, c’est être soi-même, libre du regard des autres et forte, nous le sommes toutes, pourvu que nous croyions en nous-mêmes.
Clémentine Beauvais — Franchement, non. Je crois que je n’ai jamais fantasmé sur les princesses. Mais j’adorais Peau d’Âne et le lien avec ma nouvelle n’est pas un hasard.

P. — Qu’est-ce qu’être une femme, une fille, pour vous aujourd’hui ?
Alice Brière-Haquet — Être une fille ou une femme, c’est en réalité être une sœur, une amie, une voisine, une mère, une amante, une écolière, une professionnelle, une artiste, une militante, une passante, tour à tour et en même temps, avec pour chaque casquette son lot de joies et de tracas, et son équivalent masculin. Car l’époque est aussi difficile pour les garçons qui se retrouvent héritiers d’un patriarcat qu’ils n’ont pas choisi et qui les enferme eux aussi dans tout un tas d’injonctions débiles. Mais je crois que c’est bon signe, cette angoisse au fond, c’est celle de la liberté : une fois les chaînes sexistes brisées, nous pourrons inventer nos propres identités.
Clémentine Beauvais — Tout comme Alice. Et faire des beaux projets avec d’autres femmes, se soutenir, s’écouter et se montrer de la bienveillance. À chaque fois que je transforme une jalousie féminine en amitié, j’ai l’impression d’avoir effectué le plus politique, le plus magique, le plus beau des miracles.

Les autres chroniques du libraire