Jeunesse

Anaïs Sautier

Avoir 16 ans à Marseille

L'entretien par Gaëlle Farre

Librairie Maupetit (Marseille)

Entre Louisa, qui vit dans un quartier populaire de Marseille, et Arthur, qui vient d’un milieu favorisé, c’est le choc des cultures. Anaïs Sautier nous fait plonger au cœur de la deuxième ville de France avec ces deux héros aux personnalités très différentes. C’est comment d’être lycéen à Marseille dans une société post-Covid ?

Une histoire d’amour est au cœur de Marseille Bébé. Écrire une histoire d’amour, ça vous faisait envie ?

Anaïs Sautier - En effet, c’est la première fois que j’écris une histoire d’amour. J’ai essayé de raconter comment l’amour vient percuter nos vies. Écrire sur un couple adolescent, c’est parler des peurs des héros, de qui ils sont sur la scène sociale du lycéen, de leur réputation… J’ai traité cette partie mais j’ai aussi voulu parler de l’intime. De ce qui se noue loin des réseaux sociaux, des cours de lycée ; de ce que l’on risque de perdre quand on tombe amoureux (sa tranquillité, une partie de son enfance aussi). On n’est plus jamais les mêmes après avoir aimé quelqu’un. Et surtout, l’amour nous attrape à des moments différents de nos vies. C’est bête mais c’est aussi une question de moment et c’est assez net dans le cas de Louisa et Arthur. Arthur est « parfait », il a tout ce qu’il faut ou presque, il se fait confiance mais il s’ennuie un peu. Louisa se contraint à rester au calme car elle a peur de « vriller » en étant trop elle-même. Évidemment la rencontre percutera leurs vies de manières différentes.

 

Le roman se passe à Marseille. Elle occupe une place importante, elle est presque un personnage. Quel est votre rapport à la ville ?

A. S. - J’aime Marseille. J’ai un rapport presque charnel à cette ville. J’y aime tout : le faux bordel qui y règne, les accents, la fierté mal placée, le soleil, les paysages, les gens. J’aime qu’on soit au bout de la France, qu’on ne puisse plus aller plus au Sud en restant sur le continent. J’aime le parler marseillais, la facilité avec laquelle les gens se parlent.

 

Marseille Bébé. Il faut nous parler de ce titre ! Et de votre rapport à la musique en général, et au rap en particulier, qui est présent tout au long de votre roman.

A. S. - Je n’écoute plus que du rap. Le refrain de la chanson Bande organisée, hymne post-Covid que tout le monde connaît par cœur, est devenu un gimmick. On l’entend partout, il est repris par la presse, les jeunes et les moins jeunes. Il est tagué partout à Marseille. Il marque la particularité marseillaise archi entretenue par les rappeurs, artistes, habitants made in Marseille. C’est un peu tiré par les cheveux et chauvin de dire qu’ici tout est différent, mais c’est vrai.

 

De nombreux sujets très contemporains gravitent autour des héros du roman : la pandémie, la santé mentale des jeunes, les violences faites aux femmes, les différences de classes… Aviez-vous à cœur de parler de ces sujets ou est-ce venu avec l'évolution des personnages au fil des chapitres ?

A. S. - Un peu des deux ! Le gros sujet « planifié » avant de me lancer dans le roman était l’anxiété de Louisa. Elle a du mal à être elle-même mais ne peut s’empêcher d’être qui elle est. Son moi profond la rattrape toujours, ce qui la rend géniale. Mais je voulais parler de ce que ça coûte au quotidien d’être inquiète : l’énergie dévorée, les rencontres manquées, les ratages, la solitude comme punition et refuge. Quant aux différences de milieux sociaux des héros, ça c’est vraiment Marseille, une ville archi inégalitaire où les enfants de riches clubbent en bord de mer pendant que les autres galèrent dans des logements vétustes et bossent pour aider leurs parents. J’aimais l’idée qu’Arthur veuille à tout prix comprendre des choses qui lui échappent car il est né riche et choyé. J’aimais l’idée qu’il soit fasciné par Louisa et que l’inverse le soit moins. Je l’ai observé plus jeune chez des copains bien nés, obsédés par des filles de milieux très populaires qui ne leur rendaient pas forcément cet intérêt.

 

Après plusieurs parutions pour les juniors ces dernières années, vous revenez à l’écriture pour les adolescents. Était-ce un désir de votre part ? Avez-vous un plaisir particulier avec cette tranche d’âge ?

A. S. - J’ai beaucoup écrit pour la tranche 9-12 ans. C’est l’âge où on peut commencer à faire des blagues et manier l’ironie dans l’écriture. Là, c’était évidemment très différent comme travail, moins léger du fait de la période évoquée et de ce qui se passe dans leur vie à tous les deux. J’ai envie d’écrire pour toutes les tranches d’âge, des mini-pouces de l’âge de ma fille (3 ans) aux adultes. Mais ces frontières entre ados/jeunes adultes et littérature générale me semblent de plus en plus floues. J’essaie de m’en affranchir !

 

À propos du livre

Louisa vit à Marseille avec sa mère et sa petite sœur dans un appartement de 50 m². Elle est en seconde, elle a des « troubles anxieux » et c’est une solitaire souvent sur la défensive. Le roman démarre en avril 2020, en plein confinement, ce qui arrange bien la phobie sociale de Louisa. L'arrivée d'Arthur dans son paysage quotidien va changer bien des choses. C'est comment, d’avoir 15 ans, à Marseille, en pleine « maladie mondiale » ? Anaïs Sautier nous parle de la famille, des différences de classes sociales et des crises d'angoisse, mais aussi des violences faites aux femmes sans aucun pathos et avec une justesse parfaite !