Littérature française

Éric Vuillard

La Bataille d'Occident

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photo libraire

Chronique de Coline Hugel

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Éric Vuillard est cinéaste et ça se sent ! Incroyablement visuels (on pourrait les donner tels quels en représentation théâtrale), Congo et La Bataille d’Occident, récits de guerre imprégnés de violence, sont aussi terriblement beaux.

« Les Français s’emmerdaient, les Anglais s’emmerdaient, les Belges, les Allemands, les Portugais et bien d’autres gouvernements d’Europe s’emmerdaient ferme, et puisque le divertissement, à ce qu’on dit, est une nécessité humaine […], on organisa, pour le divertissement de toute l’Europe, la plus grande chasse au trésor de tous les temps. » Nous sommes en 1884 et Bismarck organise une conférence européenne pour décider du partage de l’Afrique. C’est le début du colonialisme, le début des massacres et des abominations, le début des guerres. Léopold, roi des Belges, se rêve propriétaire d’une colonie personnelle, ce sera le Congo. Et c’est le début de l’horreur pour les populations locales : soit on devient ami des Blancs en fournissant nourriture et main-d’œuvre, soit c’est la guerre. Destruction des villages, meurtres, expéditions punitives deviennent le quotidien des tribus. La guerre, toujours la guerre comme unique moyen de s’imposer dans le paysage. Et pour faire la guerre, « il faut encore des troufions, des bleus, des bidasses, des pioupious ; il faut de la chair et du sang. » Mener une guerre, cela demande de l’organisation, des ressources, des plans. Nous sommes à l’aube de la Grande Guerre, François-Ferdinand est à Sarajevo et ce sera le dernier endroit qu’il verra. L’événement aura les conséquences que l’on sait. Un enchaînement d’alliances signées entre les différentes nations européennes fait basculer le vieux continent dans l’horreur, la ruine, la désolation. Guillaume II applique le plan du stratège Alfred von Schlieffen pour régler son sort à la France. Or, cette guerre qui ne devait durer que quelques jours deviendra un des pires et des plus meurtriers conflits de tous les temps. Étonnant de voir comment Éric Vuillard nous berce avec ses mots alors qu’il raconte des histoires horribles. On pense à Laurent Gaudé, on pense aussi à Mathias Enard tant la phrase est ciselée et efficace, et le ton souvent habité de dérision. Beau doublé !

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