Jeunesse

Laura Berg

Jeux de portraits

illustration

Chronique de Gaëlle Farre

Librairie Maupetit (Marseille)

Colorier, photographier, dessiner… C’est bientôt les grandes vacances et parvenir 
à occuper les enfants est une préoccupation pour de nombreux parents et éducateurs. Les éditeurs jeunesse rivalisent d’ingéniosité afin de proposer des cahiers de jeux et de découvertes intelligents et attractifs.


Depuis l’entrée de l’histoire des arts à l’école en 2008, les publications dans ce domaine se sont multipliées, avec de nombreux documentaires bien sûr, mais aussi des livres de jeux. Les musées participent à ces publications : ils ont à cœur de donner d’eux-mêmes une image plus moderne et résolument dépoussiérée afin d’attirer de nouveaux publics. Et ceci dès le plus jeune âge.

Commençons avec le cahier Jeux des peuples et civilisations, coédité par Actes Sud Junior et le musée du Quai Branly. Un thème est donné sur chaque double page (comme les masques, les vêtements, etc.) et le but est de mettre à portée des plus jeunes les coutumes et moyens d’expression de civilisations non occidentales. On ne peut considérer la liste d’activités de ce cahier qu’avec gourmandise : créer un katagami (pochoir japonais) et fabriquer un théâtre d’ombres, écrire « bonjour » en coréen, en japonais et en cyrillique, créer sa poupée vaudou… les niveaux sont divers et à 7 ans comme à 12, les jeunes y trouveront leur compte. Pour chaque activité, on trouve de courts textes documentaires signés Cécile Guibert-Brussel. Elle donne les clés essentielles pour comprendre et avoir envie de s’exprimer à son tour. Des œuvres issues des collections du Quai Branly accompagnent les textes et se présentent comme des modèles pour les enfants, afin qu’ils puissent créer leurs propres œuvres.


La même concision dans les textes documentaires caractérise Jeux de portraits, un autre livre d’activités qui paraît simultanément chez Actes Sud Junior. Ici, Laura Berg fait voyager de l’ère paléolithique à l’âge du numérique. Elle retrace l’histoire du portrait depuis la Dame à la capuche – statuette datant d’il y a 23 000 ans, jusqu’à Angèle d’Alain Delorme, titre d’une photographie numérique retouchée datant de 2006. Entre-temps, des œuvres de maîtres sont données en exemple afin de portraiturer soi-même son entourage à la manière de Velázquez, Arcimboldo, Picasso ou du Douanier Rousseau… Transposer un portrait de Pisanello au xxie siècle, regrouper des images de végétaux afin de réaliser un tableau comme Arcimboldo ou réaliser son arbre généalogique « à la mode du Moyen Âge », les propositions ne manquent pas d’originalité. L’illustratrice Cécile Gambini les accompagne fort bien avec ses couleurs vives et acidulées.


Dans Vacances au musée, (Palette) des œuvres d’art ont été sélectionnées dans dix grands musées français. Ceux-ci proposent activités ou ateliers à partir de ces œuvres et c’est une manière pour Palette de mettre à l’honneur le travail de médiation de ces lieux culturels. Intervertir les couleurs du tableau Rythme de Robert Delaunay ; créer un plateau gourmand comme Isaac Soreau et aborder la géométrisation avec un tableau de Cézanne, ou encore créer sa propre boîte-musée à la façon de Christian Boltanski… On fait un tour de France fort original avec ce cahier !


Pour des enfants un peu plus jeunes, voici Cahier de patouilles au Louvre, une coédition Actes Sud Junior/Musée du Louvre. Les auteurs veulent donner un accès à l’un des plus célèbres musées du monde. Ils mettent le musée à hauteur d’enfant, lui permettant de se l’approprier et de le détourner. Comme l’indique le titre, on « patouille », on joue avec les œuvres, et l’enfant se transforme ainsi en artiste. Se représenter dans la Grande Galerie, dessiner un tatouage sur le dos de La Baigneuse d’Ingres, donner un air de fête aux Noces de Cana de Véronèse… les propositions sont audacieuses et mettent à l’écart une image potentiellement austère du Louvre.


Ces cahiers permettent d’aborder les œuvres et leurs artistes sans complexes, de les approcher de manière inédite ou de profiter des collections des musées même si on en est loin !


On change d’ambiance avec Mon Street art Book chez Nathan. Encore peu abordé dans les rayons jeunesse, le street art tend à faire parler de lui. Préfacé par Dave The Chimp, artiste britannique dont les travaux ornent les rues de Londres depuis le début des années 1990, ce gros volume permet de découvrir les tags et autres graffs. Des œuvres de soixante-quinze maîtres du genre sont réunies : motifs, dessins ou typographies sont à colorier, à imiter et à personnaliser. À la fin du livre, la liste des artistes est donnée avec, pour chacun, un lien Internet afin d’en savoir plus et de voir leurs œuvres les plus récentes.


Pour terminer, mentionnons la réédition de deux titres mettant à l’honneur la photo et le dessin libres. Coloriages ! de Jochen Gerner (Milan) est un épais cahier contenant de nombreuses pages de coloriage. Mais pas seulement. Dessiner le contenu d’une boîte de conserve, décorer les cheveux d’une princesse et d’une sorcière, ou le gâteau de ses rêves, etc. Cet album était un des premiers du genre quand il est paru en 2006. L’auteur indique au départ : « Tous les contours des dessins pourront être dépassés ». Aucun modèle à reproduire n’est donné, c’est au contraire à l’enfant de s’exprimer et de prendre possession de son cahier sans contraintes.


Mon album de photos à dessiner et à colorier (Les Grandes Personnes) est la réunion de deux titres parus initialement chez Panama en 2007 et 2008. Pascale Estellon donne une seule indication : « À tes crayons », avant de proposer des amorces de créations drôles et enlevées à partir de photos qu’elle a détourées et que l’enfant doit compléter. Quel régal d’aider des pommes de terre à s’échapper du moulin à légumes en leur dessinant des pattes, habiller une courgette invitée à un mariage, déguiser une coquille Saint-Jacques et transformer un ananas en danseuse. Ces propositions flattent l’imagination, c’est un bonheur !


Les musées, l’art de la rue, le dessin et la photo sont mis à la portée de chacun, que l’on soit petit ou grand, habitant loin ou non des musées. Tous ces cahiers présentent des activités d’une richesse et d’une créativité folles et ne nécessitent pas beaucoup de matériel. Bien au contraire, le plus important est de se régaler avec ses crayons de couleurs et son imagination. Paul Klee a dit : « Au début le crayon n’en fait qu’à sa tête, il va là où ça lui plaît. » (citation placée en introduction de Coloriages ! de Jochen Gerner). La liberté est bien ce qui caractérise toutes ces parutions : colorier en dépassant les contours d’un dessin, peinturlurer et triturer un tableau afin de se l’approprier… avant de créer soi-même une œuvre, voilà ce qui compte !

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