Jeunesse

Pierre Deschavannes

Belle gueule de bois

illustration

Chronique de Gaëlle Farre

Librairie Maupetit (Marseille)

« Je crois qu’une mère se porte dans le cœur et un père dans les tripes. » Ainsi s’exprime Pierre, le héros de Belle Gueule de bois. Edward, personnage principal d’Un hiver en enfer, ne dirait certainement pas la même chose de sa mère tant leur relation est tendue et froide. Plongée au cœur de deux cellules familiales très sombres.

Peu après le divorce de ses parents, Pierre a pris la décision de vivre avec son père, même s’il a pour ce dernier des sentiments contradictoires qui vont de l’adoration à la répulsion. « Un visage ravagé par la vie et l’alcool, c’est un déchet mon père, et pourtant je le trouve beau, je le trouve incroyablement beau. » Le père de Pierre est alcoolique et hermétique à nombre d’exigences ménagères, si bien que l’on se demande lequel des deux s’occupe le plus de l’autre. C’est le collégien qui s’inquiète, qui détruit les bouteilles d’alcool. Ce quotidien est adouci par des amitiés. L’une avec Omar, qui ne le juge jamais, et l’autre avec la fille du dealer de son père, Loula. Pierre est souvent perdu, mais il veut désespérément croire son père quand il lui dit, dans un éclair de lucidité, qu’il ne boira plus. « Habiter avec mon père, c’est un peu comme la vie, même si elle vous fait mal, il y a toujours une voix bien cachée qui vous dit qu’il ne faut pas l’abandonner ». Tout est possible tant qu’il y a de l’espoir. Edward, a contrario, ne croit pas en grand-chose. C’est un adolescent taciturne qui n’a que très peu confiance en lui. Il s’est créé un avatar, Mangor, derrière lequel il aime être. Les jeux vidéo lui procurent une liberté et une aisance qu’il ne connaît pas autrement. Scolarisé dans un institut privé, son quotidien dans l’établissement est un enfer. Racketté et harcelé, Edward est proche de la rupture. La mort de son père dans un accident de voiture va précipiter le jeune homme vers la folie. C’est alors que sa mère, celle-là même qui ne s’est jamais occupée de lui, lui impose sa présence et son autorité. Commence un terrible huis clos et la tension psychologique va crescendo. Jo Witek brouille savamment les pistes dans ce roman glaçant ; et une question ne lâche pas le lecteur tout du long : qui est le monstre dans cette famille ? Belle Gueule de bois et Un hiver en enfer sont deux romans âpres et denses qui prennent aux tripes. On a d’un côté un ado qui veille sur son père et de l’autre une mère qui a délaissé son fils : le lien parent/enfant est au cœur de ces deux histoires qui bousculent les modèles familiaux. Mais le fait est que l’idéal n’existe pas. Il s’agit pour les adolescents d’apprendre à composer et de trouver un point d’équilibre entre parent ami et ennemi, entre l’exemple et le rejet. Le texte de Pierre Deschavannes (notons qu’il est illustré en noir et blanc par l’auteur) est véritablement bouleversant, d’autant plus qu’il est autobiographique. Jo Witek ose quant à elle aborder le sujet du lien maternel, bien souvent tabou, de surcroît en littérature jeunesse. Chacun à leur manière, ces deux auteurs émeuvent et interrogent. Et je suis sûre qu’ils peuvent aider à passer une étape que l’on est tous amenés à vivre, plus ou moins tardivement et plus ou moins violemment, qui est celle de trouver sa place par rapport à ses parents. Un cap difficile mais nécessaire, afin d’être soi.

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