Littérature française
Giuliano da Empoli
L'Heure des prédateurs

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Giuliano da Empoli
L'Heure des prédateurs
Gallimard
03/04/2025
152 pages, 19 €
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Chronique de
Juliet Romeo
Librairie La Madeleine (Lyon) - ❤ Lu et conseillé par 39 libraire(s)

✒ Juliet Romeo
(Librairie La Madeleine, Lyon)
Dans ce court essai, Giuliano da Empoli nous propose des petites capsules temporelles, tirées de sa propre expérience en conférences ou à l’ONU, pour nous montrer que l’Histoire se répète, que les prédateurs sont toujours là et qu’ils ont de nouveaux moyens de nuire à l’humanité. Ce sont les Borgias de la tech.
Guiliano da Empoli, qu’on ne présente plus, se propose d’être le scribe de notre histoire contemporaine. En démarrant son essai par le récit du conquistador Cortès débarquant au Mexique sous les yeux ébahis de ses habitants, il nous met tout de suite dans l’ambiance : c’est l’histoire des nouveaux conquistadors qu’il entend nous conter. Dans le but de nous alerter. Car c’est tout le sujet de cet essai : nous démontrer que les conquistadors, qui plus tard deviendront les Borgia, sont aujourd’hui les « seigneurs de la tech ». Car l’Histoire se répète inlassablement et une nouvelle époque s’ouvre devant nous. En mixant « anecdotes » historiques et « anecdotes » contemporaines, Giuliano da Empoli nous intime de nous réveiller et de regarder le monde à travers un nouveau prisme, celui des nouvelles technologies. Car, à l’image du prince saoudien Mohammed ben Salmane, du président du Salvador Nayib Bukele ou du président des États-Unis Donald Trump, la violence politique, digne du Prince de Machiavel, est réelle et permanente. Mais l’avènement des nouvelles technologies donne à ces dirigeants un nouvel atout : l’intelligence artificielle. Une sorte de « créature des profondeurs », selon l’auteur, qui peut être utilisée pour tout et n’importe quoi. Et surtout pour du chaos. Ne répondant à aucune loi et aucune loi ne leur étant imposée (comme le montre le projet « Narval » qui a accompagné la campagne de 2012 de Barack Obama et qui a amené dans les arcanes du pouvoir des penseurs de ces nouvelles technologies), les « seigneurs de la tech » ont plutôt les mains libres pour travailler et faire fléchir les opinions. L’alliance de personnalités dangereuses au pouvoir dans certains pays avec cette liberté des dirigeants de la tech met, selon l’auteur, nos démocraties en danger. C’est donc un cri d’alarme que nous laisse entendre Guiliano da Empoli. Qu’il conclut par une anecdote qui dit tout : un village se retrouve régulièrement « envahi » par des conducteurs qui cherchent à gagner du temps de trajet grâce à l’application Waze. Emmener ses enfants à l’école devient un parcours du combattant. Malgré toutes les restrictions mises en place (limitation de vitesse, feux rouges), le maire de la ville n’arrive pas à arrêter le mouvement. Il finit par avoir une entrevue avec des représentants de l’application. Qui l’écoutent. Mais rien ne change. La machine est lancée, l’algorithme a parlé, elle continue à vivre sans intervention humaine.