Quoi de mieux que le travail de terrain pour comprendre les enjeux politiques et sociétaux de notre monde ? Quoi de mieux que de se plonger dans le quotidien des autres pour en saisir les nuances et questionnements ? C’est le but de la collection « Immersions » des éditions Stock et Philosophie magazine Éditeur, qui invite des essayistes à raconter une expérience immersive à la première personne. Par effraction est le récit de Réjane Sénac, politiste et directrice de recherche au CNRS, au cœur des mouvements antispécistes. Si elle est déjà acquise à la défense de la cause animale, son but est ici d’ouvrir les portes de ces mouvements pour en décrire les tenants, les actions, les convictions. Ainsi Réjane Sénac va s'attacher à interroger les militants de la cause animale mais aussi leurs opposants, pour comprendre les enjeux des actions menées par des associations comme L214 ou 269 Libération animale, par exemple. Mais aussi à participer aux actions menées pour en comprendre la perception de l’intérieur comme de l’extérieur. Et même surtout de l’extérieur. Un travail de terrain donc, passionnant s’il en est, qui offre aux lecteurs une nouvelle vision de la lutte pour la cause animale. Autre continent, autre travail de terrain, celui de Frédéric Arnould avec son ouvrage C’est aussi ça, l’Amérique, Portraits d’un pays polarisé, publié aux éditions Québec Amérique. Le journaliste a parcouru les États-Unis pour interroger, dans différents États, des Républicains comme des Démocrates, des élus et des électeurs, des militants et des citoyens. Il retrace le parcours et le quotidien de chacun pour mieux comprendre qui sont ces personnes qu’il interroge et les laisse parler de ce qui leur tient à cœur. Les armes à feu, les droits des femmes, le patriotisme, les élections, tout y passe. Chaque thème est analysé et contextualisé par l’auteur. Les témoignages sont accompagnés de portraits photographiques qui humanisent ce voyage. Un road trip à travers les États-Unis qui ne laisse personne sur le bas-côté et qui offre une vision juste et sincère de ce pays en proie à des oppositions profondes. Enfin, retour en France et plus exactement dans l’Ain, avec « Ces gens-là », Plongée dans cette France qui pourrait tout faire basculer de Lumir Lapray, paru aux éditions Payot. L’autrice retourne dans sa région natale pour s’y installer et projette d’écrire un livre sur la France périurbaine, celle des classes moyennes et ouvrières. À travers ses discussions au bar d’en bas ou avec des amis d’enfance qu’elle retrouve avec plaisir, elle dresse le portrait de la France dont les politiques parlent sans cesse sans jamais s’adresser directement à elle. Le portrait de « ces gens-là » que l’on méprise mais qui sont la majorité votante. C’est en interrogeant les habitants de ces zones périurbaines que l’on peut comprendre l’attachement à la voiture par exemple, quand le prix du train est excessif au regard d’un budget mensuel, ou encore l’attachement à la valeur travail qui signifie ne pas dépendre des autres, quand tout se sait et que tout est jugé dans un village. Cet ouvrage offre un éclairage passionnant qui dit beaucoup des contradictions auxquelles est confronté tout un chacun, à l’heure où rembourser son prêt et offrir un nouveau pantalon à son enfant peut s’avérer un casse-tête. Et surtout qui éclaire sur la place que les politiques, de droite comme de gauche, laissent à l’extrême droite qui, sans parler, parvient à être entendue par une France qui se considère comme délaissée. Extrême droite qui n’a par ailleurs rien voté en faveur des classes populaires ces dernières années, malgré sa place d’honneur dans l’hémicycle. Dans ces trois ouvrages, c’est donc le travail de terrain qui est à l’honneur. Ce travail qui consiste à aller interroger les gens, à les écouter, à les laisser parler pour mieux les comprendre. L’écoute active, telle qu’on la perçoit dans ces textes, permet de redonner à chacun une place, à donner de l’espace et donc à pouvoir dialoguer et faire bouger les lignes pour refaire société ensemble. Un travail de terrain dont on manque cruellement dans cette période de bouleversements.