Bande dessinée

Catel , Bocquet

Alice Guy

illustration

Chronique de Juliet Romeo

Librairie La Madeleine (Lyon)

Catel et Bocquet continuent leur magnifique série de portraits de femmes pour nous proposer celui d’Alice Guy, première femme réalisatrice de l’Histoire et personnage incontournable des premiers temps du cinéma. Une histoire qui méritait effectivement d’être racontée aujourd’hui.

Quand nous parlons de la création du 7e art, nous évoquons assez facilement les Frères Lumière (surtout si on vit à Lyon), Georges Méliès et nous pensons également à des grands noms comme Gaumont ou Pathé, parfois même sans savoir qu’ils désignent des patronymes et pas uniquement des « marques » de cinéma. Mais le nom d’Alice Guy n’est que rarement cité. Et pourtant, le cinéma ne serait peut-être pas le même aujourd’hui sans cette femme incroyable. Si son implication dans l’Histoire du cinéma en France comme à l’étranger est indéniable, elle a été comme effacée de la photo de famille et, comme tant d’autres femmes pionnières, laissée dans l’oubli. Catel et Bocquet ressuscitent donc, pour notre plus grand plaisir, ce personnage haut en couleur dans un magnifique roman graphique dans leur noir et blanc habituel. Dans la lignée de leurs portraits de femmes (Joséphine Baker, Olympe de Gouges ou Kiki de Montparnasse), le duo met en images et en texte la vie d’Alice Guy, avec toujours autant de pédagogie et de douceur. Après une enfance tumultueuse, la future réalisatrice est embauchée comme sténographe chez Gaumont, à l’époque où la photographie est reine et où l’entreprise prospère. De fil en aiguille, elle devient associée de la société. Surtout, elle sera à l’origine du tournant majeur de la politique d’entreprise de Gaumont en lançant le virage vers le cinéma. Elle sera scénariste, directrice de théâtre (comme l’on nommait la réalisation à l’époque). Elle réalisera plus de 300 films, dont le merveilleux La Fée aux choux ou encore La Vie du Christ, vingt-cinq scènes qui constituent le premier péplum en 1906. Plusieurs hommages lui seront rendus et elle recevra même la Légion d’honneur. Martin Scorcese, en 2001, dira d’elle : « Alice Guy était une réalisatrice exceptionnelle, d’une sensibilité rare, au regard incroyablement poétique et à l’instinct formidable ». Elle rencontrera les plus grands, ceux dont les noms sont inscrits sur les murs, les trottoirs, les manuels où pourtant, elle ne figure pas. Elle fait partie des oubliées de l’Histoire. De celles qu’on a reléguées avant tout à leur statut de femme, de celles que l’on a préféré effacer, malgré tout l’impact qu’elles ont pu avoir. Lire aujourd’hui le portrait d’Alice Guy, c’est toucher du doigt l’injustice de la mémoire collective. C’est découvrir un personnage sans qui l’Histoire ne se serait pas faite de la même façon. C’est aussi se rendre compte que rien n’est impossible, qu’aucune barrière n’existe pour celles qui, hier comme aujourd’hui, se mettent en marche pour changer le monde.

 

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