Essais

Christian Salmon

Le Projet Blumkine

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photo libraire

Chronique de Christine Lechapt

Librairie Maison du livre (Rodez)

Alors qu’aucune commémoration n’est prévue cette année pour fêter le centenaire de la révolution russe, de nombreux auteurs reviennent sur cet événement majeur du XXe siècle qui marque un tournant dans l’Histoire mondiale. Avec ces différentes approches, vous allez devenir incollable sur le sujet.

Comme bon nombre d’événements historiques, la révolution russe n’est pas forcément facile à appréhender de prime abord : les bolcheviks contre les mencheviks, les Russes blancs contre les Russes rouges ; non pas une révolution mais plutôt deux ! Tout cela n’est pas si simple. Mais pour commencer en douceur, rien de mieux qu’Octobre 17 du grand documentariste, Patrick Rotman, illustré par les remarquables aquarelles de Benoît Blary. Vous y retrouverez tous les événements qui ont jalonné l’année 1917, que ce soit les grèves de février qui ont vu la création d’un gouvernement provisoire jusqu’à la prise de pouvoir définitive des bolcheviks en octobre. Mais c’est également l’occasion de voir le rôle joué par les différents protagonistes de cette victoire, comme Lénine, Trotski ou Staline, et ce malgré leurs divergences concernant la façon d’y parvenir. Une bande dessinée extrêmement limpide et qui ravira un très large public. Si Lénine faisait, de son vivant et aujourd’hui encore, l’objet d’un culte que lui-même déplorait, il est navrant de constater que pour autant, il fut peu lu et que sa pensée fut bien souvent instrumentalisée voire détournée. L’intellectuel marxiste et militant engagé Tariq Ali entreprend dans Les Dilemmes de Lénine de remettre très justement ses écrits au cœur de l’histoire de la révolution et ainsi développer les raisons qui ont permis son accession au pouvoir. Il étudie tout d’abord le passé et les luttes d’émancipation, principalement l’anarchisme, qui ont marqué tragiquement sa pensée. Mais il explore également les dilemmes qui se sont posés à lui durant les révolutions de 1917, son rôle durant la iiie internationale, l’importance de l’Armée rouge ainsi que la place des femmes dans la révolution. Loin d’être une biographie, ce livre permet sans aucun doute de sortir de l’oubli la pensée d’un homme visionnaire et de lui redonner toute son ampleur. Lénine, avant sa mort, ne cachait pas son inquiétude quant à l’avenir de la révolution et exprimait clairement ses doutes sur son éventuelle succession par Staline. Malheureusement, l’Histoire lui donnera raison. Oleg V. Khlevniuk nous propose ici une biographie non partisane du dictateur, largement nourrie par l’ouverture des archives qui a suivi la chute de l’Union soviétique. Dans un portrait où la folie et la cruauté de Staline sont largement décrites, on mesure les dramatiques conséquences que sa politique aura sur les populations soviétiques mais également du traumatisme qu’elle occasionnera. L’auteur nous fait également le récit des deux derniers jours d’agonie du dictateur qu’il nous présente comme la conséquence directe de sa politique de terreur et de sa volonté de contrôle absolu du pouvoir. Une biographie particulièrement vivante, précise et extrêmement bien documentée. Aux côtés de ces personnages incontournables de l’Histoire, on trouve également d’autres hommes largement méconnus, qui se sont engagés pleinement dans la révolution russe. Iakov Blumkine fait partie d’entre eux : tour à tour terroriste, tchékiste, poète, stratège militaire et agent secret, il fut exécuté par Staline alors qu’il n’avait que vingt-neuf ans. En reprenant la biographie de ce personnage sulfureux commencée trente ans auparavant, Christian Salmon nous propose dans Le Projet Blumkine un récit assez étonnant, mêlant éléments autobiographiques et recherches historiques. On suit ainsi l’auteur dans ses pérégrinations à travers la Russie sur les traces de Blumkine, afin de démêler le vrai du faux de la légende qui l’entoure. Si le révolutionnaire apparaît au fil du récit quelque peu antipathique, on ne se lasse pas en revanche de la quête de Christian Salmon. C’est palpitant ! Au début des années 1930, le gouvernement soviétique entreprit la construction d’une maison pour ses hauts fonctionnaires. Construite en face du Kremlin, de l’autre côté du fleuve, la Maison du Gouvernement devait incarner le nouveau modèle de vie socialiste. Elle comportait 550 appartements familiaux et une série d’espaces publics comme une clinique, une épicerie, un bureau de poste, une garderie, une cafétéria, une blanchisserie, un cinéma ainsi qu’un théâtre. Au-delà des hauts fonctionnaires, on y trouvait également une pléthore de personnel. En 1935, elle ne logeait pas moins de 2 655 personnes. Si cette maison constitue le personnage central de l’ouvrage de Yuri Slezkine, La Maison éternelle, c’est aussi l’histoire de ses nombreux habitants, connus ou moins connus, qui prirent activement part à la révolution russe. L’auteur revient sur leur parcours, leur engagement, leurs fonctions au cœur de la bureaucratie socialiste mais aussi, malheureusement, bien souvent, sur leur cruelle éviction. La littérature mondiale tient quant à elle, une grande place dans cet ouvrage car elle avait une importance considérable pour les bolcheviks, que ce soit pour leur éducation ou pour leur conversion. Yuri Slezkine nous livre également une étonnante analyse du mouvement bolchevik en le comparant à une secte millénariste qui, de ce fait, ne pouvait qu’être vouée qu’à l’échec. Vous l’aurez compris, La Maison éternelle est d’une incroyable richesse : largement illustré, cet ouvrage nous fait vivre de l’intérieur les sentiments des acteurs de la révolution russe. Un livre extrêmement original et tout simplement, incontournable. Si la révolution russe apparaît comme un événement majeur du XXe siècle, c’est parce qu’elle eut un retentissement considérable sur l’Histoire mondiale. En divisant le monde en deux grands blocs distincts, elle eut des conséquences dramatiques sur les relations internationales, faisant craindre, pendant de nombreuses années, une troisième guerre mondiale. Andreï Gratchev, ancien conseiller auprès de Mikhaïl Gorbatchev, fait un bilan sur le siècle qui vient de s’écouler. Grâce à l’ouverture des archives russes, il retrace pour nous les relations est-ouest tumultueuses depuis le début de la guerre froide en revenant sur les événements majeurs qui les ont jalonnées, tout en agrémentant son récit d’anecdotes qui s’avèrent inquiétantes après coup. Si, jusqu’à présent, la personnalité des différents dirigeants, américains et soviétiques, a toujours permis d’éviter une troisième guerre mondiale, il apparaît qu’aujourd’hui, celle de Donald Trump et de Vladimir Poutine laissent présager le pire pour l’avenir. Un constat glaçant, particulièrement bien argumenté et qui mérite toute notre attention.

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