Essais

Pascal Dibie

Ethnologie de la porte

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photo libraire

Chronique de Christine Lechapt

Librairie Maison du livre (Rodez)

Après son Ethnologie de la chambre à coucher, Pascal Dibie s’intéresse à la porte, et plus généralement aux passages et aux seuils. Il nous plonge au cœur de leurs histoires, des rites qui les entourent et de leurs symboliques. Une étude passionnante et pleine d’humour. Entrez donc ! 

Avant de devenir cet objet commun que nous franchissons plusieurs fois par jour, la porte a connu de profondes améliorations au fil du temps. De simple ouverture dans les huttes à la préhistoire, elle passa de l’état de tenture à un objet plus concret afin de devenir une protection contre les agressions extérieures (aussi bien animales qu’humaines). Elle se munit progressivement d’une poignée, d’une serrure, d’une clef, du nom de son propriétaire (en même temps que les rues recevaient un nom) et d’une sonnette. Afin d’en limiter l’accès, la porte fut successivement placée sous la surveillance de portiers, de gardes suisses, de concierges et, de nos jours, de digicodes. Mais au-delà de son aspect et de sa technicité, elle fut souvent un symbole de la richesse d’une cité (la porte d’Ishtar au temps de Nabuchodonosor II), la marque de victoires militaires (les arcs de triomphe à l’époque romaine) ou la représentation des limites de la cité (poternes et pont-levis au Moyen Âge). Avec l’invention du protocole, qui a cours encore aujourd’hui au sein de notre République, son franchissement incarne aussi la dignité de celui qui en traverse le seuil. L’importance de la porte se manifeste également dans certains épisodes de la Bible. En effet, le passage dans l’au-delà nécessite tout d’abord de se confronter au jugement de saint Pierre, qui décide ou non d’ouvrir les Portes du paradis ; dans le cas contraire, le condamné doit affronter les Sept Portes de l’enfer, eu égard aux péchés commis lors de sa vie sur Terre. Dépassant le simple domaine de la civilisation occidentale, Pascal Dibie parcourt également le monde pour nous révéler ce que la porte signifie au sein d’autres civilisations. Notons, à titre d’exemple, le caractère sacré de la porte dogon, qui, à elle seule raconte une histoire, avec sa serrure symbolisant l’âme des ancêtres. Les Chinois, eux, orientent leur entrée en fonction du ciel. Pour les Japonais, elle a peu d’importance dans la mesure où elle est construite en simple papier. Et chez les Mongols, c’est le franchissement du seuil de la yourte qui s’avère primordial et est, de ce fait, soumis à un rituel très sophistiqué. Dans cet ouvrage particulièrement ambitieux, vous trouverez également des sujets plus décalés ou incongrus, c’est selon. Ainsi, l’auteur fait référence aux portes de l’intime sur lequel veillent les ceintures de chasteté, créées au XVe siècle, et aux portes du corps (oreilles, nez, bouche…), à celles de l’inconscient, en référence à Sigmund Freud, ou encore à celles des livres dont l’accès est gardé par leur couverture. Si, d’un point de vue étymologique, le mot porte indique en latin une opposition entre « chez soi », domi, et foris, « le dehors », on peut dire que le mot a évolué en même temps que notre civilisation pour devenir aujourd’hui le symbole de la propriété, de l’intimité, de l’indépendance et, surtout, de la sécurité. Avec cet ouvrage très érudit, Pascal Dibie invite brillamment à franchir les « portes de la connaissance » sur un objet plus que commun de notre quotidien. Alors n’hésitez pas, c’est passionnant ! 

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