Littérature française
Laurent Mauvignier
La Maison vide

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Laurent Mauvignier
La Maison vide
Minuit
28/08/2025
752 pages, 25 €
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Chronique de
Michel Edo
Librairie Lucioles (Vienne) - ❤ Lu et conseillé par 23 libraire(s)
✒ Michel Edo
(Librairie Lucioles, Vienne)
La Maison vide est l'histoire d'une famille. Un siècle, ou un peu plus, de la vie d'une maison jadis puissante qui n'a laissé pour souvenirs que quelques meubles, des babioles, comme en laisse une marée descendante, quelques photos jaunies et une pièce vide où trône un piano, accusateur désaccordé de la honte familiale.
Un homme, le narrateur de cette histoire, cherche fébrilement une légion d'honneur dans le tiroir d'une vieille commode dans la maison familiale où désormais les héritiers viennent pour les vacances se mettre au vert, sans trop se poser de questions. Cette breloque a disparu, relique de la gloire familiale, celle d'un grand-père mort au front pour avoir défendu quelques arpents de terre française. De boutons de manchette en pinces à cravate, de vieilles lettres en photos jaunies, se dévoilent de vieux souvenirs troués, de ceux qui fascinent les enfants curieux. Une photo de bébé, la seule de la grand-mère Marguerite, saute aux yeux du narrateur parce qu'elle est entière. Toutes les autres ont été soigneusement caviardées avec une opiniâtreté féroce pour plonger cette femme dans l'oubli. « Le visage de Marguerite a disparu. » C'est le point de départ d'un grand travelling arrière qui ramène le récit au XIXe siècle. Un domaine agricole prospère acquis par la grâce de l'empereur ; une famille trop heureuse de sa fortune et qui gomme comme elle peut l'origine hasardeuse de sa richesse. Ici on travaille ardemment la terre, on fait prospérer les biens. Peu de matière évidente pour raconter cette histoire : quelques objets mutiques et les bribes d'un récit familial patiemment engrangées et restituées à une petite-fille. Un grand drap troué que l’auteur va minutieusement retisser. Il redonne de la chair à des fantômes : ici un dragon de Napoléon qui a sauvé l'empereur, là un menuisier mort au front ; mais aussi une épouse qui a pris l'entreprise familiale en main, tandis que les hommes se battent ailleurs, ou encore un arrière grand-père, Firmin dont l'appétit sexuel et la violence sont arrivées jusqu'à ses oreilles. C'est le portrait d'une famille arc-boutée sur des principes édictés par le patriarche qui les défend férocement contre le reste du monde. Petit à petit se dessinent plus clairement les violences, les ressentiments et les frustrations soigneusement macérés. C'est un immense roman familial où se dessinent les espoirs d'ascension sociale, les révolutions morales mais aussi les espoirs individuels brisés par la violence de la morale bourgeoise. L'écriture de Mauvignier se fait ressassement, on retrouve cette volonté de revenir inlassablement sur le motif dès que le récit s'échappe pour le préciser plus encore, gommer toute l'ombre possible et réparer l'offense de l'oubli, sujet fondamental de l'auteur s'il en est.