Littérature étrangère

James Salter

Et rien d’autre

  • James Salter
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville
    L’Olivier
    21/08/2014
    368 p., 22 €
  • Chronique de Michel Edo
    Librairie Lucioles (Vienne)
  • Lu & conseillé par
    13 libraire(s)
illustration
photo libraire

Chronique de Michel Edo

Librairie Lucioles (Vienne)

Cela fait une dizaine d’années que l’on attendait en France un roman inédit de James Salter. Depuis ce temps, sa cote d’amour n’a cessé de monter et ses lecteurs mènent un prosélytisme effréné en faveur de ses deux romans les plus ambitieux, Un sport et un passe-temps et Un bonheur parfait (Points). L’inédit Et rien d’autre est la preuve que l’écriture de ce vieux monsieur n’a perdu, ni de son énergie ni de sa précision.

En 1996 paraissait en France, presque trente ans après sa publication aux États-Unis, Un sport et un passe-temps, une plongée au cœur d’une passion érotique hors du temps et vouée à une fin brutale. Un bonheur parfait, qui paraît l’année suivante, se présente comme le pendant de cette première histoire. On y découvre le modèle exemplaire d’un couple qui aurait mis le rêve américain à ses pieds, mais qui, par peur de l’ennui, va chercher dans d’autres bras quelques instants de jouissance. Jeu dangereux, puisqu’après le frisson éphémère de la découverte d’un corps inconnu, on se retrouve fatalement face à soi, aussi seul qu’avant. Et rien d’autre clôt en quelque sorte ce triptyque du sexe et de l’amour en racontant la vie d’un homme, depuis la guerre jusqu’à ses vieux jours. Bowman est un garçon naïf et idéaliste. Jeune officier engagé dans la marine pendant l’offensive américaine dans le Pacifique, il ne se considère pas comme un héros. Sa découverte de l’abnégation des ennemis et la folie des combats lui apportera le peu d’assurance qui lui manquait pour devenir un homme. Par ailleurs, la passion avec laquelle Salter décrit le courage et le renoncement des soldats japonais montre à quel point il garde de l’admiration pour ces combattants sans peur, fidèles jusqu’à la mort à la parole donnée. De retour à New York et après quelque temps à l’université, Bowman entre par la petite porte dans le monde de l’édition. Il tombe amoureux pour la première fois, comme si toute sa vie l’avait préparé à ça, mais il confond coup de foudre et amour, beauté et simplicité d’âme, et la très belle et très aristocrate Vivian ne mettra pas longtemps avant de lui faire comprendre que l’autre n’est pas une projection de soi-même. Sa carrière professionnelle sera toujours un modèle d’ordre et de stabilité. Il devient au fil des années un meilleur lecteur, un meilleur éditeur, avec plus de joies que de regrets – on croise au fil des pages les grands fauves de la littérature américaine –, tandis que sa vie sentimentale reste au diapason de sa première histoire. À mesure qu’il gagne en âge, il se détache du leurre de l’amour romantique et ses partenaires sont de plus en plus souvent des femmes qui, comme lui, cherchent la jouissance du sexe et la fraternité intellectuelle. Et rien d’autre est l’histoire d’un homme qui apprend à ne mendier ni l’amour ni la reconnaissance et qui accepte les défaites amoureuses avec la sagesse de celui qui a compris qu’on ne retient ni les sentiments ni les moments de bonheur. Salter excelle à décrire les moments de solitude où Bowman fait le point sur sa vie sans apitoiement, ces instants en suspension, à peine accrochés à un rayon de soleil dans l’interstice d’un rideau et qui sont d’une beauté à pleurer.

Les autres chroniques du libraire