Littérature étrangère

Javier Cercas

Terra alta

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Chronique de Jérémie Banel

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Depuis le succès des Soldats de Salamine (Babel), Javier Cercas est reconnu et célébré pour ses œuvres hybrides qu’il définit lui-même comme des « romans sans fiction » dans lesquels il questionne inlassablement l’Histoire de l’Espagne moderne. Mais il est également l’auteur de romans de facture plus classiques, tels que Terra alta.

Terra alta, c’est le nom d’une zone reculée de Catalogne ou a été commis un terrible quadruple meurtre, féroce et cruel, sur lequel va enquêter le héros/antihéros, Melchor, un policier au passé pour le moins trouble, marqué du sceau indélébile de la souffrance et de la mort. Féru de littérature, il est hanté par les deux figures centrales des Misérables, Jean Valjean et Javert. Deux pôles entre lesquels lui-même oscille au fil de sa vie, passant alternativement de la prison à une carrière dans la police, habité d’un besoin de rédemption jamais assouvi et d’un goût absolu et infini autant que maladif pour la justice. Une trame policière à partir de laquelle Javier Cercas tisse une histoire redoutable, admirablement servie par sa capacité hors pair à embrasser le monde à travers les détails les plus infimes et les plus intimes. Et comme dans la plupart de ses livres, il explore et dissèque à merveille la psychologie de chacun de ses personnages, des sentiments les plus purs à la noirceur la plus profonde. On y reconnaît donc aisément l’œil de l’auteur, observateur attentif et intellectuel qui se fait d’ailleurs régulièrement chroniqueur politique. Et au détour de l’enquête, on croisera aussi bien le terrorisme islamique et ses ramifications que la question de l’indépendance de la Catalogne, ou encore les ombres de la guerre civile. Sans rien sacrifier de l’intrigue (on frémit littéralement jusqu’aux dernières lignes), ni céder à la lourdeur du roman à thèse, il donne à lire un livre haletant dans lequel le réel transparaît page après page. Ces quelque 300 pages encapsculent les non-dits et les faux-semblants d’une société espagnole pleine de tiraillements et de contradictions. Ce faisant, Javier Cercas cherche et provoque le lecteur qui, à son tour, soupèse les situations, s’interroge sur le bien-fondé d’un choix, questionne sa propre morale.

 

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