Essais

Laurence Fontaine

Vivre pauvre

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Chronique de Jérémie Banel

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Vivre pauvre ou comment un concours de l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Chalons-sur-Marne en 1777 nous renseigne sur la pauvreté à l’époque autant qu’à la nôtre.

Les nombreux participants devaient proposer des solutions pour « détruire la mendicité en rendant les mendiants utiles à l'État sans les rendre malheureux ». De ce corpus d’une centaine de réponses, Laurence Fontaine tire un livre passionnant et riche. D’une part en proposant une approche globale de ces réponses et en tirant de nombreux enseignements pratiques et théoriques sur la pauvreté vécue et ses conséquences dans la France pré-révolutionnaire. Un tableau sombre, où la pauvreté constitue pour ainsi dire un statut commun, mais riche en enseignements et trouvailles dans les modes de vie et l’organisation sociale pour y faire face, loin des clichés. Ce faisant, elle nous tend d’autre part un miroir dans lequel regarder notre propre société. Et si les structures politiques et étatiques n’ont plus rien à voir, on retrouve de nombreux traits communs : d’abord et simplement parce que la pauvreté n’a jamais été éradiquée et continue d’être une puissance d’empêchement pour les vies de millions de personnes, mais surtout par les questions philosophiques qui l’accompagnent. L’articulation avec le travail, le genre, la précarité et, bien sûr, la solidarité (familiale, locale, nationale) sont encore au cœur de nos préoccupations. Il en va de même pour la prétendue responsabilité des pauvres, due à leur paresse ou leur inconséquence. Cette remise en perspective historique offre ainsi une lecture salutaire et utile pour cesser de penser à gros traits un phénomène qui devrait requérir une plus grande attention et surtout une plus grande finesse d’analyse. Il en va de notre dignité collective : à défaut de parvenir à faire disparaître la pauvreté et au-delà de la question (centrale au demeurant) des ressources financières, tentons au moins de nous y attaquer sérieusement.

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