Essais

Johann Chapoutot

Libres d’obéir

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Chronique de Jérémie Banel

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La biographie intellectuelle d’un hiérarque SS devenu après-guerre penseur de premier plan du management par objectifs en Allemagne, pour penser les rapports entre État, obéissance et nazisme.

Le mal absolu incarné par le nazisme, les camps et la figure d’Adolf Hitler peut parfois occulter par leur ampleur et leur horreur les soubassements théoriques et culturels sur lesquels s’est appuyée la machine administrative national-socialiste. Johann Chapoutot, spécialiste du sujet, donne ici à lire un livre essentiel : la vie et l’œuvre de Reinard Höhn. Universitaire et théoricien de l’État sous le nazisme, élevé au grade de général, il participe par son travail universitaire à la réduction de sa puissance administrative au profit d’agences, au fonctionnement plus indépendant. Si la dissolution de l’État sous le nazisme peut nous sembler contre intuitive, il s’agit en fait d’une de ses caractéristiques : pour libérer et mettre en œuvre son autoritarisme et appliquer son effort de redressement ailleurs que dans la basse gestion administrative, il était nécessaire de laisser à ceux qui le représentent une grande latéralité, pourvu qu’ils atteignent les objectifs fixés par le Reich. Directement tirée de réflexions de stratégie militaire, inspiratrice des politiques de l’époque, c’est cette idéologie que Reinard Höhn transfèrera pour ainsi dire au monde de l’entreprise, dont il deviendra un grand théoricien dans la deuxième partie du siècle, en fondant l’école de Bad Harzburg, haut lieu de la formation des cadres Outre-Rhin, prouvant ainsi que la gestion de la ressource humaine peut s’appliquer à bon nombre de champs. L’intérêt principal de l’évocation de ce parcours réside dans la mise en évidence de la porosité entre les différents univers dans lesquels a su évoluer Reinard Höhn, tout en montrant l’inscription intellectuelle du nazisme et de ses penseurs dans le XXe siècle, un siècle dont ils furent, et bien au-delà de 1945, des acteurs d’importance.

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