Essais

François-Xavier Tregan

Daesh, paroles de déserteurs

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Chronique de Jérémie Banel

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Djihadistes dégoûtés par la réalité de l’État islamique ou enfants soldats, ils ont décidé de s’échapper pour tenter de se construire une autre vie, ailleurs. Thomas Dandois et François-Xavier Trégan les ont rencontrés.

Tout commence auprès des cerveaux d’une des filières d’évasion, dans une ambiance lourde et pesante de film d’espionnage. Sauf qu’ici, tout est vrai : en cas d’échec ou de trahison, c’est les tortures et la mort qui les attendent. On découvre ainsi dans cette première partie de « contexte » comment travaillent les opposants à Bachar el-Assad et à Daesh pour exfiltrer les déserteurs, l’infinité de précautions qu’ils doivent prendre, ainsi que le but qu’ils poursuivent et pour lequel ils risquent tout : aider « humainement » ceux qui souhaitent s’échapper, mais surtout, documenter ainsi les agissements barbares de l’armée du Califat. En espérant qu’un jour, dans une Syrie libre et démocratique, les responsables seront jugés pour leurs crimes. Dans la seconde partie, glaçante à plus d’un titre, les auteurs ont fait le choix de publier in extenso les retranscriptions des entretiens qu’ils ont menés avec les fuyards, pour rendre au mieux la complexité, les convictions mais aussi les incohérences des discours. (Le comble de l’horreur est atteint avec le témoignage des deux enfants enrôlés de force et brisés pour toujours.) Entendre ces voix que l’on connaît si peu plonge au cœur des motivations de ces soldats, volontaires un temps puis contraints ensuite, et oblige le lecteur à se confronter à la réalité de cette guerre que nous comprenons mal, même si elle fait régulièrement irruption en France. Si les parcours sont divers, on retient entre autres choses le pessimisme des témoins quant à la possibilité de vaincre Daesh, tant la détermination fanatisée de certains leur semble inébranlable, ainsi qu’un attachement au projet de Califat. Ce qu’ils n’ont plus pu supporter, c’est l’injustice, la violence gratuite ou encore la corruption, perçues comme des dérives. On touche ainsi du doigt une situation de « concurrence » entre mouvements islamistes, jugés à l’aune de leurs actes. Un document de première main, aussi touchant que capital.

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