Littérature étrangère

Raconter le monde

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✒ Jérémie Banel

(Librairie du Contretemps Bègles)

Deux grands auteurs, deux grandes œuvres de notre temps paraissent dans la collection « Quarto » qui fête cette année ses 30 ans. Une première pour Italo Calvino, quarante ans après sa mort, et un deuxième tome pour Emmanuel Carrère, notre contemporain.

Le hasard des calendriers éditoriaux et des commémorations fait parfois bien les choses : ces deux volumes, par-delà les différences entre les deux écrivains, saluent et mettent en avant deux grandes écritures, deux façons de s'emparer du monde par la littérature. Le volume consacré à Italo Calvino regroupe à la fois tous ses textes les plus connus, mais aussi la somme de textes épars et contributions diverses redécouvertes au fil des années, pour certains inédits en français. Ce travail colossal de Martin Rueff donne ainsi une ampleur inégalée à l'exploration de l'univers de Calvino. Un univers où les romans, les contes, les leçons et les articles savants se répondent, s'interrogent mutuellement au fil des années, pour peu à peu compléter une galaxie sensible et poétique. Lire ce recueil et sa grande et belle introduction, c'est entrer de façon unique dans un corpus foisonnant et une pensée en perpétuel renouvellement, sur les traces d'un amoureux fou de la littérature et de ses mille et unes potentialités, qu'il n'aura cessé d'explorer tout au long de sa vie. Le second volume consacré à Emmanuel Carrère (dont la plume est aussi portée par un amour immodéré de la littérature et du pouvoir des mots) s'attache à réunir un certain nombre de ses portraits ou biographies. C'est une autre forme d'anthologie ou de recueil qui nous est donné à lire : celle d'un auteur et d'une œuvre en cours, regroupée non pas comme plus haut de façon chronologique mais thématique, avec le regard que l'auteur porte lui-même sur son œuvre. On retrouve ainsi Limonov, dans le roman du même nom, Philip K. Dick (Je suis vivant et vous êtes mort) et Saint Luc (Le Royaume), ainsi que d'autres textes choisis, toujours portés par l'ambition de raconter « d'autres vies que la sienne ». On notera d'ailleurs qu'au centre de ces livres on retrouve, déjà, des raconteurs d'histoires, à divers titres. Comme si, au final, la meilleure façon d'accéder au plus profond des âmes et du monde se faisait par le récit, par l'écriture. Est ainsi révélé ‒ et ça vaut pour les deux auteurs ‒ ce qui ne saute pas aux yeux, ce qui aurait pu rester dans l'ombre. Une hypothèse que n'aurait sûrement pas renié Monsieur Palomar, un des héros de Calvino : parfois, l'exploration obstinée par l'observation et la littérature du réel vaut toutes les aventures !