Essais

Nicolas Grimaldi

Les Nouveaux Somnambules

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Chronique de Christine Lechapt

Librairie Maison du livre (Rodez)

Face à l’inévitable émotion que suscitent des attentats, il devient indispensable de chercher à comprendre les phénomènes que sont le terrorisme et le fanatisme. Pour ce faire, deux analyses, celle de l’historienne Jenny Raflik et celle du philosophe Nicolas Grimaldi, nous sont d’un indéniable secours.

On associe fréquemment le terrorisme et les phénomènes liés au processus de mondialisation. Si de nombreux experts venus de tous horizons se sont intéressés au sujet, celui-ci a été quelque peu délaissé d’un point de vue historique. Jenny Raflik remédie à cette lacune dans son étude en prenant la question du terrorisme comme objet à part entière de l’histoire des relations internationales. Sa tâche en tant qu’historienne est donc de replacer le phénomène du terrorisme dans un temps parfois long, afin d’établir des comparaisons entre des sociétés et des époques différentes. Pour cela, elle emprunte autant à la géographie, à la géopolitique, et aux théories des relations internationales, qu’à la sociologie, inscrivant son évolution depuis les premières apparitions de ce qu’on a commencé à désigner par cette notion au xixe siècle, jusqu’à celui que l’on connaît à l’heure actuelle. Interrogeant les différents mouvements (anarchistes, les Brigades rouges, les Tigres tamouls, le terrorisme islamiste...), leur essence ainsi que les réponses internationales qui y ont été apportées à travers l’Histoire, Jenny Raflik propose à l’issue de son étude une nouvelle définition du terrorisme, plus affinée et plus complète. Mais elle démontre également que le terrorisme et la mondialisation constituent un système dans lequel ces deux mouvements interagissent entre eux. Cette analyse particulièrement réussie permet de dépasser le simple effet médiatique et émotionnel du terrorisme pour le repenser en profondeur et mieux l’appréhender. Pour compléter cette réflexion, l’analyse du philosophe Nicolas Grimaldi sur le fanatisme paraît d’une grande originalité. Qu’est-ce qu’un somnambule, sinon une personne qui croit que ce qu’il vit est la réalité alors qu’il ne fait que rêver ? Si on pense que ce trouble du sommeil est un phénomène exceptionnel, que penser de ces trop nombreuses actions accomplies au cours de l’Histoire au nom d’une croyance, sans que leurs auteurs aient aucune conscience de l’abomination qu’ils commettent ? Cet envoûtement, qui fait confondre la fiction et la réalité, est le propre du fanatisme. À l’origine de cette démence ordinaire, on retrouve souvent une fable, un conte, un fantasme ou une chimère, qui tendent à faire croire à la culpabilité collective de quelques innocents pour légitimer des massacres. Or, tout le problème est que c’est volontairement que des individus acceptent de croire, s’abandonnant donc de leur plein gré à cette hallucination. Pour comprendre comment un tel phénomène est possible, Nicolas Grimaldi s’interroge sur la nature équivoque de l’humain et sur l’embrigadement de toute croyance, nous alertant sur l’illusoire recours à la raison. Un livre qu’il faut lire et relire, tellement il fourmille de réflexions fulgurantes et lumineuses sur ce qu’induit le fanatisme. Mais qui permet surtout de comprendre comment une croyance rend un homme incapable de reconnaître en l’autre un semblable et capable de le tuer pour avoir osé rire de sa religion.

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