Essais

Jean-Claude Michéa

Le Complexe d’Orphée

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Chronique de Christine Lechapt

Librairie Maison du livre (Rodez)

Alors que le parti socialiste semble enfin avoir dépassé des années d’importantes dissensions internes, il paraît indiscutable qu’il a cependant perdu les voix de son électorat de base, celles des classes populaires. La gauche aurait-elle perdu son identité ? Deux auteurs s’interrogent.

Selon le mythe, Orphée ne doit pas se retourner sous peine de perdre son Eurydice. Jean-Claude Michéa, pamphlétaire célèbre et inclassable, revisite le mythe en introduisant l’idée que, souhaitant à tout prix être le parti de demain, la gauche a systématiquement pris fait et cause pour l’idée de progrès, s’interdisant à ce sujet tout recul et toute stagnation qui aurait constitué à ses yeux la pire des concessions au conservatisme. Ce faisant, c’est l’effet inverse qui s’est produit et la gauche s’est peu à peu diluée dans la droite libérale, ne se distinguant plus de son adversaire que par des discours un peu plus humains et soucieux du peuple. Encore aujourd’hui, la gauche se montre incapable de divorcer de son alliance contre nature avec le capitalisme, restant tétanisée par la peur d’être assimilée à un parti du passé. L’essentiel de la démonstration de l’auteur consiste à expliquer qu’il est possible d’être de gauche et en même temps conservateur – du moins dans le sens où l’entend le socialisme. Il est donc possible de fonder une nouvelle société, non plus tournée vers le profit à tout prix et l’individualisme forcené, mais qui prônerait plutôt le don, la gratuité, la dignité et la loyauté. Selon Jean-Claude Michéa, qui s’inspire largement de la pensée orwellienne, la gauche ne pourra véritablement retrouver son ardeur des débuts que lorsqu’elle ne délaissera plus les gens de « la base », lesquels constituent son électorat naturel. Dans cette démonstration assez exigeante, l’auteur démontre l’importance d’un retour au socialisme « primaire », celui qui existait au début du XXe siècle, autrement dit, et pour reprendre une formule de Pierre Sansot, un socialisme « des gens de peu ».

Dans La Gauche et la préférence immigrée – un titre certes un peu provocateur –, Hervé Algalarrondo considère également que la gauche s’est détournée des classes populaires…, au profit des immigrés. Jusqu’aux événements de Mai 68, le monde ouvrier était placé sur un piédestal, puis les accords de Grenelle provoquèrent une rupture avec la gauche, qui s’est détournée de cet électorat en l’abandonnant à un parti communiste désormais en pleine déroute. Aujourd’hui, la rupture semble consommée tant la gauche bobo se montre toujours plus « prolophobe », ce que tendrait à prouver son total désintérêt pour des classes populaires qu’elle n’est plus capable de regarder que comme un ramassis de beaufs conservateurs et racistes. C’est d’ailleurs ce que suggère le think tank français Terra Nova, qui incite la gauche à se tourner davantage vers les immigrés et les employées et à délaisser les ouvriers et les employés. Ainsi, on entend ici et là des « intellectuels de gauche » militer pour la régularisation des sans-papiers, alors qu’ils semblent ne pas voir la souffrance des classes populaires. Il ne faut pourtant pas se leurrer : ça n’est pas parce que la gauche bobo milite pour les immigrés qu’elle se préoccupe pour autant de leur sort. Une chose est sûre, un long chemin reste à faire pour que la gauche et les classes populaires se réconcilient.

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