Essais

Christophe Dejours

La Panne

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photo libraire

Chronique de Christine Lechapt

Librairie Maison du livre (Rodez)

Suite à la médiatisation, il y a trois ans, des nombreux cas de suicides dans des entreprises telles que Renault et France Télécom, on aurait pu s’attendre à de grandes avancées en matière de lutte contre le mal-être au travail. Or, aujourd’hui, il faut bien l’avouer, rien ne semble avoir changé.

Christophe Dejours n’a pas attendu les multiples suicides de 2009 pour s’interroger sur le problème du mal-être au travail. Il lutte depuis des années pour faire reconnaître que notre système managérial ne fait que créer de graves dégâts sur la santé mentale et physique des salariés. En effet, il remet en cause, inlassablement, le système d’évaluation individuelle des performances qui a détruit, depuis les années 1980, la solidarité, seule capable d’assurer la cohésion au sein des équipes de travail. Trente ans après Travail, usure mentale (Bayard), qui vit naître la psychodynamique du travail, il revient avec La Panne, fruit d’entretiens avec Béatrice Bouniol, sur l’avancée de ses recherches, et constate que rien n’a réellement changé, malgré de très timides initiatives par-ci, par-là. Pour lui, aujourd’hui, le plus urgent est de revenir à un réel dialogue entre les salariés et la direction, et à une coopération entre salariés, seuls susceptibles de faire bouger les lignes. Mais il souhaite également que soient mises en place des mesures juridiques pour sanctionner les entreprises malveillantes. L’ambition d’Antoine Mercier, journaliste à Radio France, et Vincent de Gaulejac, sociologue « clinicien », avec la publication de leur Manifeste pour sortir du mal-être au travail, est bien différente. Touchés tous deux dans leur entreprise respective par ce malaise, ils décident non seulement de faire part de leurs réflexions sur les causes de ce mal qui ronge le monde du travail, mais surtout d’en faire un engagement politique, car pour eux, seule cette démarche sera à même de permettre de réels changements. Le style se veut donc plus direct et plus pédagogique. Il faut retenir, au-delà du test permettant de savoir si vous vivez dans une entreprise néfaste pour votre santé, qu’il est important de savoir se préserver individuellement, en sachant, par exemple, dire non si une tâche s’avère contraire à notre morale ou en privilégiant un travail bien fait au mépris des règles instaurées par l’entreprise. Mais il faut également agir au niveau collectif en privilégiant la coopération. Cet engagement politique incite donc à faire en sorte que cette question de la souffrance au travail devienne véritablement centrale. L’ouvrage de Jean-Paul Galibert apporte un éclairage beaucoup plus général sur notre société contemporaine. L’hyper-capitalisme que nous vivons à l’heure actuelle agirait comme un véritable « suicideur », puisque toute personne inapte à participer à l’hyperconsommation ne représente aucune valeur pour notre société. Qu’elle soit trop pauvre ou trop faible, l’hypercapitalisme l’incite à mettre fin à ses jours. Pour l’auteur, le « bon client » de ce système serait donc le « suicidaire », celui qui vit dans un monde fait de bonheurs matériels, seul et lobotomisé par la télévision. Un livre violent et particulièrement cynique. Pourtant, à y regarder de plus près, est-il si éloigné de la réalité ? Je n’en suis pas sûre…

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