Essais

Andreï Gratchev

Gorbatchev, le pari perdu ?

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Chronique de Christine Lechapt

Librairie Maison du livre (Rodez)

Si certaines voix s’élèvent pour dire que la « Perestroïka est irréversible », tout laisse à penser au contraire que, depuis 2000, la Russie procède à un dangereux retour en arrière et que le système politique mis en place par Vladimir Poutine foule aux pieds tous les idéaux défendus par Mikhaïl Gorbatchev.

Le 5 mars dernier, Vladimir Poutine a été réélu président de la Russie. Si l’on passe sous silence l’intermède Medvedev, qui ne permit que de masquer le détournement de la Constitution russe, on peut dire que cela fait maintenant douze ans que Vladimir Poutine dirige le pays. Cependant, les élections de mars 2012 n’ont pas été gagnées aussi facilement que les deux précédentes. La population russe semble ne plus être tout à fait dupe des pratiques de son président. Les manifestations qui se déroulèrent pour protester contre les fraudes observées lors des Législatives de décembre 2011, quelques mois avant la Présidentielle, le démontrent.

Mais « Qui est M. Poutine ? », demandèrent à la délégation russe des journalistes invités au sommet de Davos en janvier 2000. À l’époque, personne ne le savait vraiment. Cet homme discret, ancien agent du KGB, adjoint au maire de Saint-Pétersbourg puis patron du FSB de 1998 à 1999, restait un mystère pour beaucoup, y compris pour la population russe. Poutine, l’homme de l’ombre, avait construit sa réputation sur sa prétendue incorruptibilité. Il rendait certes de menus services, mais ne demandait rien en échange. En l’installant au pouvoir, le milieu politique russe pensait pouvoir le manœuvrer à sa guise. Or, dès son discours d’intronisation, tous comprirent leur erreur. Et les choses allèrent très vite : la presse fut muselée, les opposants éliminés (au sens propre, comme au figuré), la corruption faisait des ravages et le terrorisme fut combattu avec la plus grande brutalité. Poutine semblait même totalement dépourvu de sentiments, eu égard à sa réaction dénuée de toute compassion lors de la tragédie du Koursk, de la prise d’otages du théâtre de Moscou ou celle de Beslan. Le portrait que dresse Masha Gessen du président russe est proprement ahurissant. Cet homme froid, distant, souffrant de pléonexie – désir insatiable de posséder ce qui appartient légitiment aux autres –, arrogant, a davantage le profil d’un voyou que d’un chef d’État. Mais le système Poutine est surtout émaillé d’affaires plus invraisemblables les unes que les autres, et tout particulièrement celle de Alexandre Litvinenko (que l’on a pu voir agonisant sur son lit d’hôpital londonien après avoir été empoisonné) ou celle de Mikhaïl Khodorkovski, qui eut l’outrecuidance de dénoncer la corruption au sein de l’État.

Dans Russia Blues, Renata Lesnik et Hélène Blanc, spécialistes des questions russes, qualifient ce régime de « démocratie autoritaire », alors que les Russes eux-mêmes l’ont baptisé « démocrature », c’est-à-dire une dictature camouflée en démocratie, donc soluble dans la morale internationale. Cependant, grâce à des journaux comme Novaya Gazeta (pour lequel a travaillé la célèbre Anna Politkovskaïa, morte en martyre de la démocratie) et à ses enquêtes d’investigation, la population russe, du moins sa frange urbaine moscovite et pétersbourgeoise, a accès à la réalité politique du pays en dépit d’une censure insidieuse. On peut y découvrir les dessous des affaires, mais également les méfaits de l’armée ou la façon dont sont traités les jeunes enfants dans les orphelinats. Tout laisse entendre que le respect de la dignité humaine n’a que peu de poids face à une politique qui tient plus de l’autoritarisme que de la démocratie. Malgré la politique très répressive instaurée par le régime, la population commence cependant à faire entendre sa voix, ce qui, il faut l’espérer, pourra changer la donne pour les générations à venir.

Si les Russes continuent de s’appauvrir, il n’en est cependant pas de même pour les étrangers qui souhaitent faire des affaires dans la nouvelle Russie. En 1992, alors que l’URSS vient de disparaître, Michel Pascalis, dont les grands-parents avaient fui le pays en 1926 et dont l’éducation fut profondément marquée par la culture russe, décide de démarrer une nouvelle vie en Russie et de monter une société spécialisée dans l’immobilier. Assez rapidement, il fait de bonnes affaires, à l’instar de beaucoup de ses semblables à l’époque, et voit son entreprise prendre de l’ampleur malgré les crises financières de 1998 et de 2008. Il en vient même à participer à l’extraordinaire projet de construction du MKAD, le boulevard périphérique de Moscou, ce qui fait de lui un homme prospère. Malgré quelques difficultés – certes relatives au regard de la situation politique et des conditions économiques du pays –, on mesure à quel point la Russie est une manne pour les investisseurs étrangers. Mais c’est surtout en investissant au moment même où le pays était en pleine (re)construction et en grande difficulté, que Michel Pascalis a pu se « faire une place au soleil ». La situation serait sans doute beaucoup plus difficile aujourd’hui.

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