Essais

Tony Judt

Contre le vide moral

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Chronique de Christine Lechapt

Librairie Maison du livre (Rodez)

Face à la crise financière, certains pays comme les États-Unis souhaitent un retour à un État minimal, d’autres, en revanche, veulent un État plus interventionniste. La social-démocratie semble être une bonne alternative : œuvrer pour le bien de tous, tout en garantissant les libertés de chacun.

Si la crise économique mondiale semble devoir nous toucher profondément et durablement, c’est avant tout à une grave crise morale que nous devons nous confronter. Tony Judt livre ici un constat amer, mais lucide, sur la société actuelle. Nous vivons dans une époque de grande insécurité, autant économique et physique que politique, et l’État ne tient plus son rôle de protecteur, de régulateur et de garant de l’égalité. Alors que dans l’immédiat après-guerre, il existait un large consensus pour convenir que la solidarité était indispensable dans la société afin de faire barrage aux idées extrémistes, la Nouvelle Gauche des années 1960 a fait naître l’idée que c’était surtout les besoins et les droits de chacun qui primaient, en tout cas davantage que l’intérêt de tous. Pour Tony Judt, il est important de remettre la fraternité au cœur de nos sociétés. Il appartient dès lors à l’État de reprendre sa place en réduisant les inégalités criantes qui gangrènent l’économie, mais il est également primordial que chaque citoyen réinvestisse le champ politique, condition nécessaire pour une meilleure gestion des affaires publiques. Dans ce livre posthume, Tony Judt plaide brillamment pour un retour de la social-démocratie, surtout, il suggère de « repenser l’État ».

Alors que Philippe Aghion et Alexandra Roulet partent du même constat, ils apportent cependant des solutions beaucoup plus détaillées et concrètes sur la question du retour à l’interventionnisme de l’État, en prônant « Plus d’État autrement » . Il leur apparaît tout d’abord nécessaire d’investir dans les idées, c’est-à-dire de repenser l’enseignement afin de favoriser la création de nouvelles entreprises, mais également de réinventer la politique industrielle. L’État doit, par ailleurs, reprendre son rôle de régulateur des risques en veillant à une « flexisécurité » du travail et en stabilisant l’économie grâce à une politique contra-cyclique (une idée passionnante). Mais il se doit aussi d’encourager l’innovation tout en relevant le défi climatique. Les auteurs relèvent surtout l’absolue nécessité de réformer la fiscalité pour permettre un impôt plus juste grâce à un système calqué principalement sur l’exemple des pays scandinaves. Pourtant, et cela peut paraître surprenant de prime abord, tout ceci ne peut être efficace que si l’on opère un approfondissement de la démocratie en élargissant l’indépendance des médias et en évaluant mieux les politiques publiques. Tout semble réuni dans cet ouvrage pour repenser, de la façon la plus technique possible, ce que doit être aujourd’hui la social-démocratie. Ces deux ouvrages politiques n’offrent pas seulement de belles idées sur le papier, car, comme on l’a constaté au cours des débats qui viennent de jalonner l’organisation des primaires socialistes, elles commencent à faire leur chemin auprès de la classe politique – bon nombre des thèmes abordés et des solutions proposées dans ces ouvrages alimentent désormais les discours et les propositions des candidats. La suite en mai 2012…

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