Littérature française

Liliana Lazar

Enfants du diable

illustration

Chronique de Frédérique Franco

Librairie Le Goût des mots (Mortagne-au-Perche)

Une femme en mal d’enfant dans une dictature communiste de l’Est, des enfants parqués dans des institutions qui n’ont d’orphelinat que le nom… Bienvenue dans l’univers cruel des Enfants du diable.

Roumanie, fin des années 1970. La dictature communiste a pour devise : « Un pays fort est un pays peuplé », et les femmes sont incitées à faire des enfants. Contraception et avortement sont interdits, et le personnel médical est chargé de vérifier scrupuleusement que chaque femme enceinte mène bien sa grossesse à terme, sous peine d’être signalée à l’administration. C’est la mission que respecte avec application Elena, sage-femme. Elle est célibataire et son caractère et son physique durs la destinent à le rester, alors qu’elle brûle d’envie de devenir mère. Elle propose à une femme de s’occuper de son enfant à sa naissance. Le petit Damian devient dès lors son propre fils, qu’elle chérit et protège à l’excès. Devant la présence insistante de la mère biologique, elle décide de partir à la campagne avec lui, et, loin de la ville, elle espère s’éloigner à jamais de cette femme devenue pour elle un danger. Bien que sage-femme, elle endossera le rôle d’infirmière et même de médecin dans ce village où la population est particulièrement démunie. Elle ne perd pas pour autant son zèle et s’attache à rester fidèle au régime politique, obtenant même des avantages si elle le peut, surtout si cela lui permet de préserver son secret. Parallèlement, on découvre l’univers glaçant des orphelinats roumains, dans lesquels ces « enfants du diable » subissent mauvais traitements, froid et malnutrition. Les destins des orphelins, ainsi que ceux de Damian et Elena, progressent au rythme de la grande Histoire : petits arrangements personnels avec la morale au sein de la dictature en place, Tchernobyl, chute du mur et arrivée des premiers Occidentaux « humanitaires »... Liliana Lazar évoque ce pan d’Histoire roumaine avec réalisme et une écriture tout en empathie pour ses personnages. Un roman sans concessions, incroyablement fort et percutant. Inoubliable.

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