Littérature française

Anne-Laure Bondoux

L’Autre moitié de moi-même

illustration

Chronique de Isabelle Réty

Librairie Gwalarn (Lannion)

Dans L’Autre moitié de moi-même, Anne-Laure Bondoux change de registre et passe de la fiction au récit autobiographique. Le récit d’une tranche de vie dans lequel elle ne se met pas complètement à nu, mais trace « une sorte de portrait de l’écrivain… en maillot de bain », résume-elle.

PAGE : Vous publiez ces jours-ci L’Autre moitié de moi-même, qui ne ressemble en rien à ce que vous avez écrit auparavant. Pourquoi ce virage ?

Anne-Laure Bondoux : Le mot « virage » est vraiment très juste. En vérité, c’est ma vie qui a fait un virage, et mon écriture, mes centres d’intérêt, ont simplement suivi la courbe. Dans le récit, je parle même d’une « sortie de route » , d’un accident : j’ai été surprise moi-même par l’urgence d’écrire ce livre. J’ai toujours mis une part de moi dans mes romans, mais avec le souci de travestir la réalité pour en faire de la fiction. Cette fois, je n’y suis pas arrivée. Je me suis d’abord sentie en échec, en danger, avant de réaliser que si je ne pouvais plus inventer de fiction, je pouvais quand même écrire… C’était la seule voie possible à ce moment-là. Je ne pouvais plus utiliser de « masque ». Le thème du masque m’obsède depuis l’enfance : on comprendra pourquoi en lisant le livre…

 

P. : Sans dévoiler l’histoire, vous apprenez un secret de famille qui bouleverse complètement votre vie. Pourquoi vouloir en faire un livre ?

A.-L. B. : En effet, j’aurais pu écrire cette histoire pour moi, sans la publier. Je me suis longuement interrogée : si je publie ce récit, qui cela va-t-il intéresser ? Et aussi : cela risque-t-il de blesser mon entourage ? Ou de me fragiliser ? Je n’ai pas trouvé de réponses claires à ces questions ; elles viendront peut-être au fil du temps. Mais dès lors que mon éditeur a accepté de m’accompagner, je me suis dit que je devais aller au bout. Assumer ma fonction, en quelque sorte. À la fois pour moi, et au sein de ma famille. Écrire est une façon de prendre la parole pour ceux qui restent muets, ou comme je le dis dans le texte, de nommer ce qui n’avait pas de nom.
J’ai travaillé le matériau intime de façon à le rendre audible par les autres, avec l’espoir qu’il leur apporte quelque chose. Je l’ai structuré afin qu’il devienne un projet littéraire, au-delà du témoignage. C’était un pari délicat et difficile. Pour m’aider, j’ai pris appui sur de nombreux exemples d’écrivains qui ont travaillé la matière autobiographique (j’en donne des exemples au cours du récit). C’est une démarche fréquente en littérature, mais elle étonne de la part d’un auteur pour la jeunesse.

 

P. : Il n’y a aucune agressivité dans vos propos, aucun règlement de compte. Comment fait-on pour garder une certaine distance avec les faits ?

A.-L. B. : Ce récit est une exploration des zones d’ombres, des choses qui font souffrir, mais c’est surtout une façon de réconcilier les contraires et d’aller vers plus de sérénité, de lucidité. Ce n’est en aucun cas une mise en accusation. Il fallait que je relate des faits (la révélation du secret, son contenu, la séparation, la panne) pour que les lecteurs comprennent les émotions et les bouleversements qui y étaient liés.
L’acte d’écrire est en lui-même une mise à distance. Même si on cherche à dire « la vérité », elle s’éloigne dès lors qu’on la transforme en récit, et glisse de façon irrépressible vers une sorte de fiction. Cette question du réel, du « vrai », et de la fiction ou du mensonge était déjà au cœur de mon roman précédent. Je l’ai davantage creusée ici, avec des outils différents, plus personnels. Au-delà des faits eux-mêmes, ce qui m’intéressait vraiment, c’était de voir ce que je pouvais mettre en œuvre pour m’en sortir, pour retrouver la lumière : à ce titre, je me suis comportée avec moi-même comme avec les personnages de mes romans qui, eux aussi, cherchent la lumière.

 

P. : C’est un livre autobiographique qui va au plus profond de votre vie privée et qui s’adresse à un public plus âgé que celui de vos textes précédents. N’avez-vous pas peur qu’il déroute vos lecteurs habituels ?

A.-L. B. : D’un livre à l’autre, j’ai toujours exploré des univers ou des tonalités différentes. C’est ma liberté d’auteur, mon plaisir. Alors évidemment, la liberté des lecteurs et leur plaisir sont aussi forts : c’est le revers logique de la médaille. Ce livre s’inscrit fortement dans mon parcours, en tout cas. En tant qu’auteur jeunesse, invitée souvent dans les classes, j’ai été questionnée sans arrêt sur les motivations de mon écriture. Ce récit constitue une forme de réponse à mes jeunes lecteurs. Et bien sûr, aux adultes qui les entourent !

 

P. : Avez-vous d’autres projets actuellement ?

A.-L. B. : La panne d’écriture que je relate dans L’Autre moitié de moi-même n’est pas sans conséquence. Je n’ai rien entamé de précis, je cherche, et je m’apprivoise au jour le jour avec une prudence de renard… En tant que lectrice, je me suis détournée de la fiction pendant une certaine période où je ne lisais plus que des essais, des témoignages, des autobiographies. Depuis quelques mois, je me suis remise à lire des romans, et la fiction reprend une place dans mes préoccupations. C’est sans doute le signe que je vais y revenir en tant qu’écrivain. Mais sous quelle forme, je n’en sais encore rien. L’essentiel, c’est que le désir est là.

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