Littérature française

Isabelle Monnin

Odette Froyard en trois façons

illustration

Chronique de Manuel Hirbec

Librairie La Buissonnière (Yvetot)

Souvenirs, enquête, fiction. Avec ces trois façons d'écrire une vie, celle de sa grand-mère, Isabelle Monnin offre une stimulante construction où personnages réel et fictif se complètent l'un l'autre.

Dans Les Gens dans l'enveloppe (JC Lattès, 2015), Isabelle Monnin inventait une fiction à partir de photographies de gens qu'elle ne connaissait pas pour mener ensuite une enquête afin de retrouver ces inconnus. Se confrontaient alors, dans un étonnant jeu de miroir, le réel et la fiction. L'autrice inverse ici le processus autour d'Odette Froyard, sa grand-mère paternelle morte depuis une dizaine d'années et qu'elle va saisir de trois façons. La première en convoquant ses souvenirs d'enfance. Reviennent alors des bribes qui évoquent une femme effacée derrière son époux, renvoyée à des tâches domestiques et subalternes, une grand-mère qui n'évoquait jamais son passé, comme si elle était une femme sans histoires, sans jeunesse ni adolescence, n'ayant jamais été traversée d'émotions personnelles. Des souvenirs en trompe-l’œil qui conduisent Isabelle Monnin à enquêter auprès de ses proches puis à collecter des traces dans des archives. Se dévoile alors un pan inconnu de l'histoire d'Odette et de sa fratrie, celle d'une jeunesse passée en orphelinat. Une deuxième ouverture qui dévoile une période douloureuse tout autant qu'elle laisse entrevoir d'heureuses amitiés percutées par l'Histoire. Mais ces souvenirs et ces archives lacunaires dressent un portrait en dentelle d'Odette. C'est donc par une troisième voie, celle de la fiction devenue un ultime recours, qu'Isabelle Monnin tisse une histoire possible d'Odette. Avec ces trois façons de lire une histoire individuelle et collective, Isabelle Monnin engage une réflexion originale et stimulante sur qui l'on est, sur ce qu'on laisse comme trace, sur ce qui disparaît de nous, sur ce que les autres perçoivent de nos vies, sur ce qu'ils ont à en savoir ou pas, y compris et surtout dans le cercle familial et sur ce coffre-fort personnel que demeure l'intimité.