Littérature française

Jérôme Ferrari

À son image

illustration

Chronique de Manuel Hirbec

Librairie La Buissonnière (Yvetot)

Prix Goncourt 2012 pour Le Sermon sur la chute de Rome (Actes Sud et Babel), Jérôme Ferrari poursuit son œuvre avec un roman dense, intense et stimulant, dont la haute volée stylistique et la tenue romanesque font forte impression.

À travers la figure d’Antonia, personnage central de son roman, photographe née en 1965, Jérôme Ferrari déploie les motifs qui lui sont chers : la Corse, la violence et, comme le titre le laisse entrevoir, l’image, et plus particulièrement le lien qu’entretient la photographie avec le réel et la mort. À cette violence contemporaine prégnante en Corse à laquelle vont être confrontés Antonia et les différents protagonistes du roman tout au long de leur vie, Jérôme Ferrari mêle d’autres violences, politiques, exercées dans l’espace méditerranéen et fixées par des photographes à la fin du xixe siècle et au début du siècle suivant. Des images intensément crues et puissamment troublantes, reflets d’une époque et miroirs de la cruauté des hommes. Une cruauté et une violence continuelles auxquelles Antonia, appareil photo à la main, ira encore se confronter dans les années 1990 lors des conflits en ex-Yougoslavie. Avec son style envoûtant, Jérôme Ferrai articule de façon admirable son dispositif narratif, menant de front, de pair, et en résonance, cette intense réflexion sur l’image avec la progression romanesque du destin incarné et sensible d’Antonia, beau et tragique à la fois, écartelé entre l’amour et la liberté, entre l’irrésistible attachement à la terre natale et la volonté d’échapper aux contraintes que la société corse impose, notamment aux femmes, dès leur adolescence. Construit au rythme d’un fascinant requiem en douze mouvements qui n’est pas sans explicitement rappeler dès son ouverture Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész (Babel), À son image en est paradoxalement l’une de ses brillantes filiations.