Littérature étrangère

Anna Hope

Le Rocher blanc

illustration

Chronique de Manuel Hirbec

Librairie La Buissonnière (Yvetot)

Après Le Chagrin des vivants, La Salle de bal et Nos espérances (Folio), ce nouveau roman d'Anna Hope surprend par son audacieuse construction. Il confirme son grand talent stylistique et sa capacité à nous entraîner dans des destins romanesques. Magicienne, elle multiplie ce plaisir de lecture par quatre !

Quel bonheur ! Anna Hope nous fait entrer dans quatre histoires en une ! Quatre histoires qui se déroulent autour d'un même lieu, le Rocher blanc situé au large du Mexique, sur la côte Pacifique, rocher auquel une tribu locale attribue l'origine du monde. Quatre histoires passionnantes avec quatre personnages pris dans quatre époques différentes que nous allons d'abord suivre en remontant le temps, de nos jours jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Nous rencontrons tout d'abord une autrice d'aujourd'hui – serait-ce Anna Hope elle-même ? – à la recherche probable d'un nouveau souffle – et pour sa vie et pour son métier de romancière – qui se rend avec sa petite fille sur ce littoral mexicain dans un minibus brinquebalant au milieu d'une étonnante compagnie. Arrive ensuite un chanteur halluciné en 1969 – serait-ce Jim Morrison des Doors ? –, superstar à la dérive qui vient incognito faire un pas de côté sur ce littoral, cherchant une porte de sortie pour échapper à la mécanique qui le broie. Puis, au début du XXe siècle, une jeune femme, Yoeme, tente d'échapper – serait-ce la peur ou l'espoir qui la pousse ? – à la violence du pouvoir central mexicain qui cherche à détruire sa culture autochtone en s'emparant des terres ancestrales. Enfin, un lieutenant de l'armada espagnol parti cartographier en 1775 la côte Pacifique est confronté à la rébellion d'un compagnon – serait-ce la folie qui le saisit ? – alors que la flotte mouille à proximité de ce Rocher blanc qui trouble les esprits. Remontant ensuite au fur et à mesure de cette profondeur temporelle, Anna Hope fait naître, du lieutenant espagnol à la romancière anglaise, une incroyable épaisseur romanesque. Par ce flux et ce reflux narratifs, chaque époque, chaque histoire et chaque personnage entrent en résonance avec les autres comme si une odyssée humaine et la marche du monde se dessinaient sous ce Rocher blanc liant les hommes entre eux à travers les siècles. Avec une intensité dramatique soutenue, le destin de chacun se joue à cet endroit. Sous l'influence d'une nature belle et puissante, permanente et comme originelle, respectée par les uns, bafouée par les autres, tous sont bousculés et se métamorphosent pour aller chercher au fond d'eux ce qu'il y a de plus vibrant, quitte à frôler la folie, la névrose ou la mort. Un chemin risqué et intranquille pour retrouver une liberté perdue mais qui demeure le plus beau qui soit pour se sentir vivant. Comme ce chemin littéraire que trace Anna Hope en se réinventant avec ce beau, risqué et indomptable Rocher blanc.