Josef, le personnage principal de votre roman serait-il le saint d’aucune religion dont le seul miracle serait de vivre ?
Antoine Wauters Complètement. Haute-Folie est l’histoire d’un personnage qu’on va suivre depuis le premier jour de sa vie. Il naît alors qu’un incendie ravage la ferme qu’occupent ses parents, la ferme de Haute-Folie. Josef va se retrouver orphelin très jeune. Recueilli par un oncle et une tante, il va vivre pendant des années dans l’ignorance de ce qui est arrivé à ses parents. Quand on le pense lancé dans l’existence, quand lui-même est convaincu qu’il a trouvé un sens à sa vie en devenant instituteur, il se rend compte que quelque chose lui manque, qu’il est hanté. Il va demander à sa tante de lui parler, de lui expliquer ce qui est arrivé à ses parents. Et dès le moment où il l’apprend, sa vie est coupée en deux. Il va mener une vie errante, une vie de saint dont la seule religion est la religion des gens qui essaient de vivre bien, en étant relativement bon avec les autres. Quand Josef va atteindre 40 ans, après avoir vécu de petits métiers et traversé le pays dans tous les sens, il va décider qu’il est temps pour lui de retrouver le village et la ferme où il est né pour affronter les fantômes de son passé.
« Il est des lieux qui écrivent nos vies », dites-vous. En quoi Haute-Folie écrit-elle la vie de Josef ?
A. W. Un nom peut contaminer un esprit. Quand on vit dans certains endroits habités par des drames, cela laisse des traces. Le risque de tomber dans une forme de folie court à travers tout le livre et plane sur tous les personnages. Toute sa vie, Josef va rester sur une ligne de crête : certains vont penser qu’il est fou et d’autres verront en lui un sage. À force d’avoir vécu avec lui-même et d’avoir écouté les silences qu’il porte en lui, Josef en tire une forme de sagesse qui rayonne à travers le livre.
« Pire que la malédiction qui a touché ses parents, ce qui le tue c’est le silence que d’autres lui imposent », écrivez-vous. Est-ce le cœur du roman ?
A. W. Ce roman parle de ce qui se transmet de génération en génération, qu’on le veuille ou non. Des traumatismes que nos ancêtres ont vécus se transmettent inconsciemment. Sans le savoir, on les porte. Ces secrets de famille conditionnent des chemins de vie qui ne sont pas exactement ceux qu’on voudrait vivre. Peut-être que la douleur qu’une famille ressent à des moments est moins ce qui se passe réellement que le fait de ne pas en parler. Josef s’en rend compte. Il essaye par les mots de transformer une malédiction en bénédiction.
Josef fuit-il autant la compagnie des hommes qu’il la recherche ?
A. W. Josef est très proche de la nature. Il vit par moments, solitaire, sur des landes ou dans des montagnes. Grand marcheur, il trouve parfois sa sagesse dans ces traversées de paysages. Et il revient aux autres avec un cœur plus ouvert. Il va impressionner les gens qu’il croise parce qu’on sent en lui cette sagesse.
Devenu passeur d’eau, Josef dit : « Les gens me traversent ». Est-ce cela la vie de Josef ?
A. W. C’est notre vie à tous que d’être traversé par des présences. Faire passer des gens d’une rive à une autre caractérise bien la vie de Josef. Il n’a pas connu ses parents mais a le sentiment qu’ils lui font signe. Il se rend disponible à ça.
Josef remplit tout au long de sa vie des carnets. Écrire l’ancre-t-il au monde ?
A. W. C’est ce qui fait son identité. Ses notes ont la dimension d’une joie possible. Énigme pour lui-même, il tricote à partir d’un matériau biographique lacunaire quelque chose qui non seulement a du sens pour lui mais qui renvoie de la lumière pour d’autres. C’est en ce sens qu’on peut voir en lui une forme de saint qui n’appartiendrait à aucun royaume. Je me dis que peut-être aujourd’hui on a besoin d’une parole qui contiendrait peu de choses mais des choses justes. La manière dont je raconte l’histoire de Josef colle à ce qu’il est en train de devenir. Au fur et à mesure qu’il se dépouille, mon écriture se simplifie.
Né un jour d’orage, de flammes et de cendres dans la ferme de Haute-Folie, Josef, devenu orphelin est dépossédé de son histoire. Travaillé par le manque, l’absence et le silence, il fuit la compagnie des hommes autant qu’il la recherche. Le jour où sa tante lui révèle la vérité, une porte s’ouvre en lui. Instituteur, passeur d’eau, tailleur de pierre, ermite rayonnant de sagesse : les faits et gestes de sa vie se déploient comme s’il s’agissait de celle d’un saint d’aucune religion dont le seul miracle serait de vivre. Par touches délicates, l’écriture d’Antoine Wauters va à l’os. Comme Josef, elle atteint un noyau primordial qui déclenche un big bang d’émotions littéraires. On l’aime. À la folie.