Littérature française

Lisette Lombé

Eunice

illustration

Chronique de Manuel Hirbec

Librairie La Buissonnière (Yvetot)

Déridé et décapant, le roman de Lisette Lombé, poétesse nationale de Belgique, est un moteur à explosions stylistiques et narratives. La pulsation de la langue y est une pulsion de vie et les mots des onguents qui adoucissent les injustices et referment les blessures d'une jeune fille endeuillée, Eunice.

Qui est Eunice, le personnage-titre de votre roman ?

Lisette Lombé - Eunice est une jeune fille de son temps, étudiante en psychologie et athlète. Elle est en plein chagrin d'amour. La mort inopinée de sa mère vient ajouter du deuil au chagrin. On va suivre cette jeune fille sur un chemin de résilience qui ne pourra être présente que collective même si la catastrophe est personnelle. Dans ce roman, il y a d'autres femmes de la famille et chacune va trouver une voie de deuil. C'est aussi cela ce texte : se dire qu'il y a plein de voies pour faire son deuil.

 

En quoi l'amour est-il une étape décisive pour refermer cette blessure ?

L. L. - Eunice est une petite boule de feu : elle est colère ; elle est révolte ; elle est en questionnement. Et comme cela arrive parfois, il y a des rencontres lumineuses qui nous sortent de notre colère, des rencontres qui nous réalignent de manière fulgurante. La rencontre avec Jennah, cette amoureuse, va être le début pour elle de l'apaisement.

 

Eunice découvre l'écriture et la lecture à voix haute. Que cela lui apporte-t-il ?

L. L. - Ce roman est un grand hymne à cet endroit réparateur qu'est la scène slam, le micro ouvert, les livres et les ateliers d'écriture. C'est un grand hymne aussi pour la réparation collective. C'est dans l'écoute des autres, dans l'écoute de ce que les autres ont à dire, dans cet écho de mots que se fait aussi la reconstruction de soi.

 

Comment cela résonne-t-il avec votre parcours d'autrice et votre rapport à la création littéraire ?

L. L. - Je viens de la scène slam, le roman en porte l'énergie et l'urgence de dire. Le texte est porteur de l’oralité de cette poésie, porteur d'une langue nerveuse et frontale avec des phrases courtes, des listes, des anaphores. Venant de la poésie, fascinée par la beauté des métaphores, j'ai une écriture extrêmement visuelle. L'esthétique du fragment et l'esthétique de la pulsation sont les moteurs de mon écriture.

 

Pourquoi avez-vous choisi une narration à la deuxième personne du singulier ?

L. L. - C'est un endroit de l'écriture que je trouve très intéressant parce qu’on est exactement à deux endroits, à la fois intérieur et extérieur. Cela permet de garder le texte très tendu du début à la fin. Ce « tu », il faut l'imaginer comme une petite caméra sur l'épaule qui suit Eunice de très près. C'est presque une voix de mantra, une voix d'invocation, une voix qui essaye de la remettre sur le droit chemin et c'est aussi le « tu » qu'on peut se dire à soi-même quand on se frappe sur la cuisse et qu'on se dit « allez, vas-y, tu vas y arriver ». Dans des situations de grande tristesse, on n'est parfois jamais très loin de la folie. Avec ce « tu », Eunice est sur le fil. Elle est en train de se reconstruire mais pourrait vaciller à tout moment. C'est la même chose pour sa tante, c'est la même chose pour les grands-mères qui sont là aussi sur un fil.

 

Sur ce fil se déploie un humour décapant. Est-ce une façon de dépasser le tragique ?

L. L. - Je dynamite le tragique en redescendant dans le réel. Peut-être est-ce cette touche belge d'autodérision qui est le diadème précieux des misérables ou des miséreux que nous sommes. Il faut pouvoir regarder le monde dans sa dureté et dans sa noirceur mais aussi avoir la capacité de voir le beau, le ténu et l'humour. La critique sociale passe par un coté un peu déjanté. Les personnages sont borderline, ils sont en train de gérer leur apnée, il faut reprendre sa respiration et le rire est aussi une reprise de respiration.

 

Eunice glisse-t-elle de la rage vers la douceur ?

L. L. - On ne peut pas être que combustion. L'idée est d'aller vers une forme d'apaisement, de pouvoir se laisser caresser pour retoucher du bout des doigts la tendresse, la vulnérabilité. Et accepter cette vulnérabilité. Eunice est aussi une histoire de pardon, de tendresse et de vulnérabilité assumée.

 

Alors qu'elle vient tout juste de se faire quitter, Eunice subit à 19 ans l'injustice de perdre sa mère, morte noyée dans la Meuse lors d'une soirée festive. De l'abattement à la colère, de la colère à l'apaisement, Eunice va suivre un chemin de résilience fait de rencontres, de combats, de partages, de solidarité, d'amour, de mots, tout en menant une troublante enquête. Sa mère menait-elle une double vie ? Entre passé familial, présent, reconstruction de soi et promesse d'un nouvel amour, Eunice ouvre sa voie et trouve sa voix au milieu des autres, non sans humour. Avec un sens piquant des situations animées de personnages percutants, la vie comme les mots pulsent par dessous tout chez Lisette Lombé.