Littérature étrangère

Colson Whitehead

Harlem Shuffle

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Harlem Shuffle est un morceau de Bob & Earl sorti en 1965. Le titre, emprunté par l'auteur, dont le rythme et le son évoquent à merveille le Harlem des années 1960, en fait la bande originale idéale du nouveau roman de Colson Whitehead. Une plongée sombre et vibrante dans ce quartier qui ne dort jamais.

Il est un des rares écrivains à avoir obtenu deux fois le prix Pulitzer ; en 2017 avec Underground Railroad puis en 2020 avec Nickel Boys. Si la diversité des genres qu'il explore dans son œuvre montre la pluralité de ses dons littéraires, le thème central de ses romans dessine une œuvre à part entière, toute entière consacrée à l'histoire des noirs aux États-Unis. Et s'il est un quartier qui incarne à lui seul une partie de l'histoire des Afro-américains, c'est bien celui de Harlem ! Plus  qu'un décor, c'est un personnage à part entière du roman. Quant aux hommes qui l'incarnent dans le livre, ils sont divers mais surtout truculents et hauts en couleur. Colson Whitehead nous emmène dans les années 1960, sur la 125e Rue, suivre les aventures de Ray Carney, le propriétaire d'un magasin de meubles qui revend parfois de la marchandise volée et dont les mains ne sont ni tout à fait propres, ni tout à fait sales (« pas un voyou, tout juste un peu filou »). Carney n'a pas voulu suivre les pas de son père, une figure de la pègre locale. Il a préféré épouser Elizabeth, une jeune femme issue d'une famille aisée dont le père fréquente le Dumas Club, réservé aux noirs fortunés ayant pu passer le test du « sac en papier brun ». Avec elle, il aura deux enfants et son seul but dans la vie est de les mettre en sécurité, leur offrir un logement confortable, une aisance financière. Quitte, pour cela, à fermer les yeux sur la provenance des bijoux et objets que lui rapporte son cousin Freddie après différents braquages et qu’il revend à des bijoutiers encore moins scrupuleux. Une activité qui peut lui attirer des ennuis et le pousse à s'acheter la protection, non seulement de la police, mais aussi de la mafia locale. Entre le roman de braquage (heist novel) et le roman noir, inspiré de Chester Himes ou Donald Westlake, Colson Whitehead nous raconte les aventures et mésaventures d'un antihéros dans une ville où le crime et la violence côtoient aussi les luttes pour l'égalité des droits civiques, les émeutes. Car des hommes et des femmes se battent pour plus de justice, une vie décente. Il y a aussi du Dickens, pour les grandes espérances qui animent son personnage et du James Baldwin, pour les feux allumés par la communauté autour de lui, dans ce premier volume de ce qui devrait être une trilogie. Il y a des magouilles, du suspense, de l'amitié. C'est un roman vivant, vibrant, engagé mais d'une manière différente de ses précédents romans, ce qui prouve le talent de ce grand auteur à se réinventer de livre en livre tout en poursuivant la même quête !

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