Littérature française

Léonor de Récondo

Passion ardente

L'entretien par Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Léonor de Récondo est violoniste et romancière. Si la musique est parfois apparue dans ses romans précédents, on attendait avec impatience le roman où s'exprimeraient pleinement ses deux passions. Le Grand Feu est un embrasement de tous les sens qui nous invite à tendre l'oreille, vivre et ressentir avec exaltation.

Dans ce roman, nous prenons la direction de Venise, au début du XVIIIe siècle. Pouvez-vous nous dire ce qu'est la Pietà et qui est Ilaria ?

Léonor de Récondo - À Venise, la Pietà est un ospedale, une sorte d'hospice. Il a été ouvert en 1347 pour accueillir des jeunes filles dans le but de leur apprendre la musique et il est resté actif jusqu'au XIXe siècle. Parmi les jeunes filles qui résidaient-là, une majorité était orpheline. Les mères les déposaient dans le « tour ». Elles savaient que leurs filles seraient élevées avec la musique. De nombreux grands professeurs s’y sont succédé. Dans mon roman, je me suis intéressée à la période où Vivaldi y enseignait le violon. La Pietà est une institution républicaine, ce n'est pas un couvent. L'établissement est géré par des femmes. Le destin d'Ilaria est d'entrer toute petite dans cette institution grâce à la cousine de sa mère qui est la gardienne de ce lieu. Les parents ne verront quasiment plus leur enfant. C'est un prix que la mère d'Ilaria accepte après six grossesses dont trois enfants morts-nés. Elle rêve un autre destin pour sa fille que celui de reprendre sa boutique d'étoffes. Elle se dit que là, les petites filles peuvent s'élever autrement que par le mariage.

 

La musique est l'un des thèmes majeurs du roman. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour écrire un roman sur votre passion ?

L. de R. - C'est mystérieux ! Après l'avoir fini, je me suis justement demandé pourquoi avoir attendu neuf romans ! J'écris parce que j'ai des curiosités sociologiques ou des questionnements en dehors de la musique. L'écriture me permettait d'explorer ces domaines. Là je me suis dit qu’il était temps d'écrire sur la musique et sur mon instrument, le violon. Qu'est-ce qu'un corps de violoniste ? Qu'est-ce que c'est de commencer tout jeune et de grandir avec son instrument ? Qu'éprouve-t-on quand on joue de la musique ? Le Grand Feu, c'est aussi le feu de la scène, une sorte d'extrapolation de soi. J'avais envie de raconter cette période charnière de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe puisque je me suis spécialisée dans la musique baroque. J'ai fait énormément de recherches sur les manuscrits, les partitions de cette époque. Il y avait donc le destin de cette jeune fille et, à travers elle, l'apprentissage d'un instrument mais aussi le contexte de l'Italie de cette période qui m'intéresse et avec lequel je vis presque quotidiennement.

 

Dans le roman est raconté le processus de création musicale, de l'écriture à la représentation. Aviez-vous à cœur de raconter toutes ces étapes ?

L. de R. - La musique est un artisanat : écrire une partition, mettre les doigts au bon endroit, savoir maîtriser son corps et, lorsqu'on est sur scène, savoir lâcher cette maîtrise. Par les mots, je voulais exprimer ce qu'il se passe, parfois, lorsqu'on est sur scène et qu'il y a comme un alignement du corps et de l'esprit qui permet d'être hors du temps dans un mouvement collectif. La transmission est aussi importante pour moi : Vivaldi enseigne aux plus âgées qui enseignent aux plus petites. C'est beau ! Observer comment on apprend un instrument, parfois sans les mots, juste les gestes.

 

Le second grand thème du roman est l'amour. Comment arrive-t-il dans la vie d'Ilaria ?

L. de R. - En 1710, les jeunes filles qui étaient dans ces institutions n'avaient pas beaucoup de possibilités de vie. Elles pouvaient soit prendre le voile, soit se marier. Ilaria vient d'une classe moyenne de marchands. Elle se sent libre à la Pietà et veut donc y rester. Mais à cette époque, il n'y avait pas de musiciennes professionnelles. À 15 ans, elle va vivre son premier amour qui vient comme la percuter. Son amoureux, Paolo, est le frère de sa meilleure amie, Prudenza. Ils viennent d'une famille riche. Paolo tombe immédiatement amoureux, un véritable coup de foudre qui va l'exalter. De son côté, Ilaria est dans une forme de confusion entre ce qu'elle ressent quand elle joue de la musique, une exaltation de l'âme, une intensité, une ardeur, et ce qu'elle ressent, qui est assez similaire, au contact de Paolo. Elle va vivre un déséquilibre intérieur, un grand feu.

 

Venise, 1699, Ilaria entre à la Pietà. Après six grossesses et trois enfants morts-nés, sa mère s'est promis que sa fille aurait un autre destin que celui de reprendre la boutique d'étoffes familiale. À la Pietà, elle sait qu'elle aura une éducation musicale, une chance de s'en sortir, même si cela implique de ne quasiment plus la voir. Ilaria grandit dans cet établissement géré par des femmes et apprend le violon avec des élèves de Vivaldi, instrument dans lequel elle excelle au point de devenir la copiste du grand compositeur. Mais elle tombe amoureuse de Paolo, le frère de son ami Prudenza qui vient d'une famille aisée et prend des cours de chant à la Pietà. Dès lors elle vivra le grand feu ! Amour et musique composent la partition de ce roman ardent.