Littérature française

Guillaume Gallienne

Le Buveur de brume

✒ Nicolas Mouton

(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)

La collection a sa consigne qui peut paraître simple : passer la nuit dans un musée choisi, cheminer parmi les œuvres et écrire. Écrire sa nuit. De ce point de vue, Guillaume Gallienne a pleinement vécu l’aventure ; mais pour le reste, rien ne s’est passé comme prévu.

Extraordinaire passeur de textes, comédien, lecteur, doubleur, auteur de spectacles et réalisateur : tout l’art de Guillaume Gallienne est le langage, celui de la voix, du corps. Qu’il en vienne à s’exprimer par le livre semble naturel. Son style est fluide, vif, plaisant et profond à la fois, nourri de grands textes mais sans la moindre pédanterie, amical et surtout sincère. Et c’est ce dernier caractère qui nous le fait aimer d’emblée. Pour ce premier récit, c’est à Tbilissi, au Musée national, qu’il a prévu de se rendre afin de retrouver le portrait de son arrière-grand-mère, la princesse Melita Cholokachvili (dite Babou), et d’admirer les toiles des peintres « ambulants ». À l’orée de cette entreprise, comme avant d’entrer en scène, le trac l’envahit : « le trac, c’est l’énergie qui, une fois libérée, va permettre au présent à venir d’être pleinement vécu. » Le jeu, c’est poétiser la réalité. Mais il y a erreur sur le lieu : on ne l’attend pas au Musée national mais à la Galerie nationale, deux salles différentes. Il hurle sa colère, voit le projet s’écrouler. Une colère démesurée, venue d’on ne sait quels abîmes. C’est en l’interrogeant, en fouillant l’histoire de sa famille que s’invente un autre livre. De belles pages plongent dans ses origines géorgiennes où dominent des figures de femmes exilées, fortes, courageuses, cultivées. Elles ne lisent pas Proust, elles le jouent. Et le temps, sa fuite, est peut-être le grand thème de ce livre. L’âme pleine des auteurs russes, en particulier Tchekhov et Gontcharov, dont il fut un si saisissant Oblomov, il tisse de souvenirs en cousinages une grande rhapsodie. L’exercice spirituel d’écrire le réconcilie avec ses spectres et chante l’amour inconditionnel.

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