Littérature française

Alice Ferney

Comme en amour

✒ Nicolas Mouton

(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)

En pleine possession de son art, Alice Ferney explore, dans Comme en amour, les arcanes de l’amitié, « la dernière vertu » selon Kundera. Alerte, plaisant et riche, ce roman forme un diptyque avec La Conversation amoureuse (Actes Sud, 2000).

« En amitié comme en amour, on se perçoit, on se respire, on se parle si on se plaît, on se livre, on se raconte, sans prendre garde à ce qui naît. » L’expression importante ici est « prendre garde », à tous les sens du terme. Marianne Villette est une styliste, elle crée des sacs à main, accessoire « futile et utile » ; c’est aussi une mère de famille vivant à Colombes. Cyril Blot, un photographe vivotant d’articles, non sans charme, vient la rencontrer pour parler création. De quelques instants de connivence, comme du jour avec la nuit, va frémir et se développer une amitié intense, dont nous suivrons les étapes au long de quarante chapitres déroulés comme une carte du tendre. L’amitié serait-elle une forme d’amour qui ne dirait pas son nom ? Et pour survivre, son langage ne doit-il pas être vertueux ? La parole est au cœur du livre et de leur relation, sous toutes ses formes : interview, téléphone, confidences, remémorations, lettres à deux ou quatre mains, liaisons dangereuses. On se livre dans la pudeur ou l’impudeur, on patiente en « acquiescement silencieux », jusqu’à ce que le huis clos amical connaisse son ultime avatar, le SMS, négation de l’esprit de conversation. Manquer à sa parole est donc une faute d’ordre moral. C’est pourquoi les discussions littéraires (parfois très drôles) importent tant. Il n’est peut-être pas anodin que l’atelier de Marianne se trouve à Colombes, lieux de toutes les présentations. La colombe figure l’Esprit saint, son rameau d’olivier signifie la fin du Déluge ; elle est plus prosaïquement signe de paix ; « La paix qui m’envahit quand c’est vous qui souffrez » (Anna de Noailles). De soleils en orages murmurés, l’amitié peut-elle résister aux passions amoureuses ? Le mot « solitude » signe ce roman admirable qui trouble et nous tend un miroir.

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