Littérature française

Laurent Binet

Perspective(s)

illustration

Chronique de Nicolas Mouton

Librairie Le Presse papier (Argenteuil)

Florence, 1557. Le peintre Pontormo est retrouvé assassiné au pied de la fresque à laquelle il travaillait en grand secret. Peut-on tuer pour l’art ? L’enquête est confiée à Vasari, premier historien de la peinture. Dans ce roman épistolaire, Laurent Binet joue à merveille des portraits, des couleurs et des lignes de fuite.

Qu’est-ce que la création romanesque, sinon une perpétuelle remise en question avec de la suite dans les idées ? Perspective(s), prétendu polar où les malfrats portent des noms de princes, garde des liens forts avec Civilizations (la mention de 1492, de l’or d’Atahualpa, la chronologie…), même s’ils sont d’allures très différentes ‒ le lecteur s’amusera à les repérer. Laurent Binet donne là un roman à l’inventivité permanente et à l’esprit très vif. Le livre s’ouvre par deux cartes, l’une de Florence, l’autre de la situation politique en Italie. Mais les consultons-nous vraiment pendant la lecture ? Non, elles sont là pour donner à rêver et signifier que le roman est un monde à rebattre les cartes. Il est un théâtre, comme l’a dit Shakespeare, et le nom des personnages nous est donné pour commencer. Mais ils sont moins là pour renseigner que pour exciter la mémoire du lecteur qui, aux noms de Lorenzaccio, Benvenuto Cellini ou Malatesta, pensera à Musset, Berlioz ou Montherlant. La préface est un pur chef-d’œuvre et l’échange des lettres (une vingtaine de personnages) un délice d’invention stylistique. Quelques-unes sont sur le modèle avoué des Liaisons dangereuses (lettres 1 ou 43) ; on pense aussi parfois à La Nouvelle Héloïse. Laurent Binet se délecte de tous les codes du genre : intrigues politiques, amoureuses et esthétiques se mêlent. Le roman commence sous le signe du Carnaval, c’est-à-dire du masque : il dérobe mais se voile la face. « Voir, c’est penser. Le spectateur aussi doit mériter son tableau. » Il est donc maniériste : c’est la touche, la manière de l’auteur qui importe et non la réalité. Une fresque effacée dont le roman est le portrait imaginaire, plein de perspectives sur notre temps.